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We are l'Europe

mise en scène Benoît Lambert

: Comédies humaines

S’il est trop tôt, bien sûr, pour évoquer précisément le résultat que ce travail d’investigation produira, et que seule l’expérimentation concrète du plateau permettra de découvrir, on peut tout de même tenter de cerner les lignes de force, qui, à l’intérieur même du texte, dessinent les contours d’un spectacle à venir.
Contrairement à ce qu’une vision sommaire de son travail laisse parfois penser, Jean-Charles Massera n’est pas un pamphlétaire, ni même un auteur « engagé ». C’est d’abord un portraitiste. Et si le regard qu’il porte sur l’époque est parfois féroce, il est toujours plus animé par la volonté de « donner à voir » que par le désir de dénoncer.
Au fond, la chose la plus précieuse dans le travail de Massera, c’est son attention fine à l’ordinaire, à tout ce qui - objets, technologies, représentations, mythes… - fait le cadre quotidien de nos vies. Dans We are l’Europe, cet ordinaire des vies est saisi au travers de discussions et de réflexions ordinaires, produit par des gens ordinaires, des « hommes sans qualités » habitants l'Europe occidentale à l’orée du XXIe siècle. Nous, en un mot.
Bien sûr, tout cela est drôle, simplement parce que Massera, comme Kafka avant lui, refuse de le prendre au tragique. Mais cet humour ne se réduit jamais à une pure et simple moquerie : car dans cet ordinaire des paroles ordinaires, il n’y a pas que de la faiblesse, de la bêtise ou de la veulerie (même s’il y en a, forcément, aussi). Il y a en outre, et peut-être surtout, des espoirs, des rêves, des désirs intacts, qu’il faut savoir prendre au sérieux dans leur fragilité même s’il on veut les faire entendre sur le plateau. En bref, montrer l’humanité, et pas seulement sa caricature.
Au fond, le travail de Massera n’est pas sans rapport avec celui des grands burlesques : donner à voir moins le désordre du monde lui-même, que les effets qu’il produit dans l’intimité des vies. Comme chez les burlesques, les personnages de Massera, ou plutôt les « voix » qu’il déploie, sont sans arrêt « dépassés par les évènements », qu’il s’agisse d’acheter une cuisine, de se remettre au sport, d’envisager une vie de couple, une famille, un travail, une sexualité, un projet d’existence… Ce « dépassement » a bien sûr ses conditions économiques et sociales de possibilité, mais les personnages de Massera ne sont jamais pour autant de pauvres victimes « aliénées » d’un « système » qui les écrase : on les voit au contraire méditer à l’infini sur les conditions de leur existence, les maudire, les louer, travailler à les changer, Vladimirs et Estragons perdus dans la société post-industrielle, penseurs précaires et spontanés de nos vies contemporaines.
Du coup, paradoxalement, cette matière disparate et « moderne », qui procède par collages, déplacements, superpositions, finit par se donner à lire comme la trame d’une très ancienne comédie. Et l’on voit finalement poindre chez Massera, derrière ce projet de faire le portrait de ses contemporains, une aspiration d’un très profond classicisme.

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