: Ça parle de quoi, Massera ?
Ça parle de quoi, Massera ? De l’époque, à coup sûr. Mais en disant cela, on n’a pas dit grand-chose. Tout le
monde, finalement, parle de l’époque. Les journalistes, les politiques, les publicitaires, les psychologues, les
économistes, les sociologues, les philosophes, les sportifs, les chanteurs, les directeurs des ressources
humaines… : autant de discours concurrents (ou complices, selon les cas) qui prétendent capter l’air du
temps.
Jean-Charles Massera, lui, ne rajoute pas sa petite analyse personnelle à celles qui s’affrontent déjà dans
l’espace public. On pourrait dire au contraire que tout son travail d’écriture consiste à travailler de l’intérieur
les discours déjà produits, pour les faire bégayer. Massera a lancé une guérilla burlesque et dévastatrice au
sein même des langues officielles (dépêches journalistiques, mots d’ordre publicitaires, discours politiques,
analyses d’experts…) en confrontant toujours le point de vue hyper-global depuis lequel elles s’élaborent (le
village-monde) à la situation hyper-locale de leurs destinataires (les caissières de Mâcon, les cadres de
Suresnes ou les ouvriers de Sochaux). À preuve ses titres-slogans, dans lesquels l’anglais, nouvel esperanto
mondial, télescope souvent le français « bien d’chez nous » (United emmerdements of New Order, United
problems of coût de la main d’oeuvre, All you need is ressentir, We are l’Europe…)
Du coup, Massera démonte patiemment (et parfois violemment) nos mythologies contemporaines, et les
nouveaux dispositifs d’aliénation sur lesquels elles prolifèrent. Mais son travail ne rejoint pas pour autant les
discours de dénonciation ambiants, tels que les médias les répercutent. Pour lui, il s’agit moins de dénoncer
les coupables que de se demander « comment font les gens ». Car les effets d’imposition symbolique et
matérielle engendrent toujours des stratégies de résistance, même ténues, même invisibles, de la part de
ceux qui les subissent. Et les gens, même dominés, même écrasés, bricolent des réponses, des usages et
parfois des plaisirs à partir de « toute la merde qu’ la télé veut nous faire avaler ». De là cette revendication
d’une esthétique du « faire avec » dans le travail de Massera, qui n’a rien à voir avec une quelconque
résignation aux nouvelles règles de la domination. S’il s’agit bien de construire un discours critique sur les
nouveaux dispositifs idéologiques « soft » qui envahissent tranquillement les existences, il s’agit aussi d’être
attentif à des « manières de faire » à partir des environnements immédiats de nos vies. Quel air respirons-nous,
et qu’est-ce que ça nous fait ? Qu’est-ce qu’on fait avec la variété, avec la pub, avec le sport, avec la télé ?
Où plutôt : comment ça marche, et qu’est-ce qu’on fait avec ?
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