: Note dramaturgique
Le langage amoureux pour les corps des Charmilles
les emmène au-delà des cliniques et des champs
de bataille. Ils deviennent alors une image
frappante de vulnérabilité, la preuve vivante de
la mort qu’un corps porte en lui-même. Cette mort
incarnée est fascinante, elle donne à ces corps un
caractère sacré, donc forcément théâtral. Mettre
en scène ce texte, c’est suivre ce mouvement, le
mouvement d’un corps retiré d’un entre-sort, retiré
d’une clinique, et mis en lumière sur un plateau,
pour qu’il respire enfin, et nous avec, pour qu’il
laisse échapper ses mystères.
Il n’est pas question d’exhiber l’anormal, de
provoquer, de choquer, mais de sentir la douceur
d’un regard sur ces membres tranchés, de voir leur
fragilité portée jusqu’au sublime.
Lorsque cette écriture enlace ces corps, elle
embarque aussi le mien. Lorsqu’elle me parle
d’une jambe amputée, elle frôle mes cuisses, mes
muscles, mes veines, mes os.
Cette poésie est violente, sanglante, illuminée, elle
m’attire doucement et tendrement dans des zones
troublantes, par une caresse, elle éveille en moi un
funeste désir de lumière sur la mort qui m’habite.
Ça fout la trouille de lire Le Mort ; le plaisir est
angoissé, le désir apeuré, la jouissance horrible.
J’ai voulu mettre en scène ce texte parce qu’il
me donne le vertige, parce que Bataille gagne le
point où l’indicible, l’inconnu et l’opaque portés
par chacun de nous au plus profond de lui-même
me fascinent.
Je ne monte pas Le Mort dans son intégralité ; je
l’arrête à la fin de l’orgie parce qu’elle se termine
par un sacrifice. C’est important le sacrifice au
théâtre, c’est important pour le théâtre dont je rêve,
celui qui s’enracine dans l’archaïque et le sacré.
Mettre en scène les deux textes d’Un si funeste désir, c’est d’abord définir le plateau comme un espace sacré pour les corps, un espace où ces corps nous parlent d’ailleurs, où leurs pulsations font écho aux battements de nos coeurs, où nous pouvons de nouveau voir vibrer nos organes. Mettre en scène ces deux textes, c’est porter un regard désirant sur le corps dans sa douleur, dans ses excès, pour chercher dans ses soubresauts ce qu’il porte en lui d’insondable, de divin.
Cédric Orain
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.