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Un amour impossible

+ d'infos sur l'adaptation de Christine Angot ,
mise en scène Célie Pauthe

: Entretien avec Guillaume Delaveau (scénographe)

réalisé par Laetitia Dumont-Lewi

Cet entretien a été réalisé à l'occasion de la rédaction du dossier Pièce (dé)montée.
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Quand Célie Pauthe a-t-elle commencé à vous parler de son projet de monter Un amour impossible ?


Assez tôt, à l’automne dernier, elle n’avait pas encore les droits et son désir d’adapter le roman concernait essentiellement la dernière partie du roman. Au moment où elle m’a contacté, elle ne savait pas encore comment serait traduite la première phase du roman.


Aviez-vous lu le roman ?


Non, je ne connaissais pas du tout ce roman. J’avais lu L’Inceste il y a bien longtemps, mais je n’étais pas du tout un lecteur de Christine Angot. Après, j’ai lu quelques-uns des précédents, et je dois dire qu’Un amour impossible m’a bien attrapé.


Quand vous avez parlé de scénographie au départ avec Célie, c’était à partir du roman ?


Nous avons travaillé très longtemps à partir de la lecture du roman. La matrice du spectacle était la scène finale du roman, au restaurant, et nous avons discuté avec Célie des séquences qui pourraient précéder cette scène. La première partie devait se présenter au départ comme un monologue du personnage de la fille. J’ai commencé à imaginer un dispositif qui puisse accueillir cette première partie narrative, et ensuite, au printemps, l’idée de l’adaptation par Christine Angot a évolué et il est resté très peu de moments de récit. La distribution était déjà faite, et ça a beaucoup orienté le projet.
L’expérience de ce spectacle repose sur l’âge des comédiennes pour tout rejouer, puisque toutes les scènes se passent au présent et ne sont plus un récit au passé. À partir de cette petite révolution, Célie m’a dit : « C’est un rituel où elles vont rejouer et revivre les scènes de la jeunesse, de l’enfance, être retraversées par leur existence pour arriver ensuite à ces trois jours de rencontre au restaurant. » Il fallait donc trouver un dispositif qui puisse accueillir ce rituel de jeu.


Matériellement, comment est-ce que ce rituel où les deux femmes rejouent le passé oriente votre travail de scénographe ?


C’est le troisième spectacle que je fais avec Célie, sur des dramaturgies à chaque fois singulières, mais il y a une constance dans les discussions et dans la recherche : à chaque fois, on a affaire à une fiction, œuvre d’un auteur, qui doit entrer dans un lieu réel. C’est encore plus le cas sur ce projet, puisque l’état fictionnel est comme dédoublé. À partir de là, l’endroit réel, c’est le plateau de théâtre, qui doit se transformer pour accueillir la fiction. On ne cherche pas un lieu, c’est plutôt l’espace qui nous accueille, en fonction des lieux de tournée déjà annoncés, qui va déterminer une scénographie, des proportions, une architecture...


En quoi est-ce que ce principe de modification de la conception de l’espace scénique en fonction des lieux d’accueil du spectacle est différent par rapport aux tournées d’autres spectacles ?


La scénographie doit toujours être adaptée aux différents lieux, mais cette fois-ci le plateau n’est pas un territoire où tout est possible, un endroit abstrait fait de noir dans lequel on va concevoir un espace pour le texte. Nous travaillons en fonction des proportions du lieu, de son histoire. Et en plus des changements dans la nature de l’adaptation, les lieux de représentation envisagés aussi ont changé. Quand Célie m’a parlé du projet, il était question que ça se fasse dans la petite salle des ateliers Berthier. Nous étions donc partis sur la réalité d’un petit endroit, et de là c’est passé à la grande salle de Berthier, qui a des proportions gigantesques : 13m d’ouverture, 31m de profondeur. Pour concevoir l’enceinte qui englobe la fiction, nous réfléchissons plus sur les lieux d’accueil du spectacle que sur les différents lieux de la fiction.


Et pour le reste, est-ce que vous avez quand même fait un travail sur la diversité géographique de la fiction – Châteauroux, Reims, Strasbourg, Paris –, sur les différents appartements où se déroulent les dialogues, et sur l’évolution de la fonction sociale des lieux dans la pièce ?


Les deux femmes se réunissent dans cette enceinte, qui est celle d’un théâtre. Et dans ce territoire, elles vont rejouer des moments de leur vie. Ces séquences ont besoin de mobilier, d’accessoires, en fonction de ce que le texte propose, comme des fragments. C’est essentiellement par le mobilier que nous allons signifier des endroits et une époque. Entre Châteauroux et Reims, leur intérieur grandit, la mère a une meilleure situation professionnelle, on en tient compte, mais c’est suggéré.
Tout se fait dans une économie de signes : les éléments sont plus fonctionnels que décoratifs, il y a juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent développer leurs souvenirs. Par exemple, il y a dans la deuxième partie un lit d’enfant, qui n’était pas là dans la première partie, parce qu’il y a une scène où c’est intéressant qu’elles soient dans une chambre, mais ça ne veut pas dire qu’à Châteauroux elle n’avait pas de lit. Tout cela est conçu comme des îlots dans un territoire, dans ce lieu de théâtre qui nous accueille, légèrement transformé.


Du coup, qu’en est-il du lieu de la discussion, au restaurant, qui a été la scène matricielle du spectacle ?


Au moment du restaurant, les actrices ont l’âge du rôle, on est quasiment dans le présent. Donc après un trajet dans le passé qu’elles ont rejoué, on les retrouve à leur âge, et il y a une transformation de la perception de l’espace. Les scènes ne sont plus isolées en îlots au cœur de l’enceinte, c’est toute l’enceinte qui devient la scène du restaurant. Il y a comme un effet de réel qui arriverait dans l’espace.


La première est dans deux mois, pensez-vous que le projet de scénographie va encore évoluer ?


Bonne question, je ne sais pas ! Pour moi, c’est vraiment un projet inédit, dans le sens où on commence à rêver un spectacle et à son dispositif scénique par la lecture du roman, et après ce roman se transforme en adaptation ; on passe de l’idée d’un petit espace à l’une des plus grandes salles de théâtre d’Europe ; et une fois qu’on a évolué dans la conception, qu’on a reçu l’adaptation finale qui réinterroge encore les choix scénographiques, on arrive à des changements dus aussi à des réalités budgétaires et à des contraintes de temps, parce qu’il y a un temps de fabrication qui est du coup réduit.
Je pense qu’aujourd’hui, il y a quand même des choses solides qui risquent peu de bouger, nous avons résolu beaucoup de problèmes et l’œuvre commence à s’articuler dans cet espace. Ce qui peut évoluer pendant les répétitions, c’est la nature de ces îlots, de ces fragments de vie au centre du plateau. L’accessoirisation n’est pas finie, il y a des choses que j’aime laisser en suspens et attendre que le jeu se développe pour choisir le bon objet, les bonnes proportions. Ce sont les trois étapes : écriture, tournage et montage. Par exemple, il n’y a pas de cloisons, mais à un moment la fille rentre de l’école, avec une véritable entrée dans la scène. Pour signifier cette entrée, puisque tout l’appartement est fantôme, nous avons choisi un de ces vestiaires fixés au mur qu’on trouvait souvent à cette époque. Ça sert à avoir une accroche d’entrée dans l’espace nu.
Mais peut-être que si vous m’appelez dans deux mois je vous dirai que le vestiaire n’avait plus son utilité et qu’il a disparu. Dans le travail de Célie, surtout, il y a une telle précision que quand quelque chose n’a pas sa réelle justification, elle n’a pas lieu d’être. Tout doit avoir son histoire, son déroulé et sa nécessité pour la fiction.


Entretien téléphonique réalisé par Laetitia Dumont-Lewi le 30 septembre 2016.

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