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Un Mage en été

+ d'infos sur le texte de Olivier Cadiot
mise en scène Ludovic Lagarde

: Entretien avec Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde

Comment s’est construit votre lien au Festival d’Avignon ?


Olivier Cadiot : C’est moi l’artiste associé, mais tout est passé par Ludovic. C’est un peu paradoxal.


Ludovic Lagarde : Disons plutôt que j’ai eu le premier contact avec la direction du Festival. Dès 2002, on a discuté avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller, qui étaient alors les collaborateurs de Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Festival, sur une manière originale et ouverte d’être présent à Avignon. Ce qui s’est fait en 2004, pour le premier Festival de Hortense et Vincent comme directeurs : une résidence à la Chartreuse, trois spectacles en parallèle, des lectures. C’est un souvenir commun fort, qui nous a réunis avec Olivier dans une énergie partagée.


Qu’est-ce qui vous rapproche lors de cette édition 2010 du Festival ?


L. L. : Quand le Festival d’Avignon propose à Olivier d’être artiste associé de l’édition 2010, c’est aussi une sorte de « commande » passée à notre manière de travailler ensemble.


O. C. : C’est pourquoi j’ai souhaité revenir à ce qui nous a réunis au tout début : Le Colonel des Zouaves, notre premier spectacle et donc à la forme du monologue.


L. L. : C’est devenu une blague entre nous. À chaque fois que je prends un livre d’Olivier pour tenter de le mettre sur scène, il me dit : « Il faut un monologue ». Il est fan de la formule « Un acteur, un texte », qui vient de chez Novarina. Moi, j’essaie d’aller contre : je veux du drame, des personnages, des actions, des corps, des décors.


O. C. : C’est ce qu’il imagine. Mais c’est un piège. Je veux la même chose que lui. Sauf que justement le monologue est une bonne méthode bien à lui pour donner drame, personnages, actions, etc.


L. L. : Le plus important cette année à Avignon, c’est de placer notre présence commune sur des registres différents, grâce à deux spectacles nouveaux. D’une part, Un nid pour quoi faire qui développe, parfois jusqu’au délire, l’idée et la forme du théâtre. On installe un texte au milieu de neuf acteurs, dans des décors. On joue le jeu au plus large. D’autre part, on revient à notre forme première, à notre scène primitive, le monologue, avec Un mage en été imaginé pour un seul acteur : Laurent Poitrenaux.


Comment travaillez-vous à deux ?


L. L. : Plus Olivier écrit pour le théâtre, plus j’ai besoin de travailler sur ses textes. C’est ce que j’aime dans notre duo : il stimule notre travail. On travaille de plus en plus, pas de moins en moins.


O. C. : La responsabilité de l’acte scénique, Ludovic la prend, mais il me la fait partager. Par contre, sur le texte, c’est chacun son tour. Je commence, je prends le temps qu’il faut, j’écris tout seul dans mon coin. Il en résulte un texte qui ressemble plus à un roman qu’à une pièce. À ce moment, Ludovic prend le relais et fait son marché chez moi, dans le livre. Il se saisit de ce qu’il veut dans le texte, et je peux me permettre de ne pas tout voir, de ne pas tout contrôler. C’est un non-savoir fructueux, qui me permet d’échapper à de fausses contraintes que je pourrais me donner. Je fais semblant d’oublier la scène. Ce n'est pas un rapport de rivalité comme souvent les gens l’imaginent ; souvent on me demande d’un air catastrophé : « Ça vous fait quoi de voir vos textes sur scène ? »


L. L. : Je dirais plutôt que c’est une bonne rivalité. De même qu’avec Laurent Poitrenaux. On prend chacun ce qui nous plaît chez Olivier, moi des textes, lui des gestes, des cérémonies, des rites. Le trio est intéressant pour cette raison précise : on a une rivalité complémentaire.


Concrètement, comment se déroule ce relais dans le travail ?


O. C. : Généralement, j’arrive chez Ludovic au bout du parcours, un peu épuisé. Puis, ça peut s’inverser : au cours de la mise en scène, c’est lui que je peux alors venir soutenir. Tout se déplace, d’une étape à une autre, si bien qu’il n’y a pas de lieu unique et suprême où penser le théâtre, la poésie, l’écriture, le jeu. Mais une suite de relations organisées. Nous sommes décalés dans le temps. Quand j'arrive vers Ludovic, j'ai trois ans de travail sur le texte et pas d’idée préconçue. Lui, il pioche, choisit, coupe, charcute, et je reviens ensuite pour participer à l’ébauche, pas pour surveiller le texte (je milite plutôt pour en enlever), moment passionnant pour moi, où on regarde les maquettes, plonge dans les consoles de son, et surtout là où je peux les regarder travailler pas à pas.


L. L. : Dans le cas d’Un nid pour quoi faire, je n’ai rien pu toucher du texte-roman paru chez P.O.L pendant plus d’un an. Je n’ai rien fait, découragé en lisant le bouquin. On s’était dit : « On va faire ça bien, plus classiquement, ensemble », mais nous n’y sommes jamais parvenus. Et puis, au dernier moment, je me suis lancé, une fois que le texte avait bien mijoté en moi : sur une table de bois de dix mètres de long, avec deux livres que j’ai découpés au cutter, par petits bouts, parfois quelques pages, souvent quelques mots. C’est une sorte de cut up


O. C. : C'est assez amusant, je m’épuise pour faire tenir sur les pages le texte, et lui, il les déplie, il déplace des blocs, je ne peux pas lui en vouloir, puisque la logique du théâtre n’est pas la même et que je sais qu’elle va en privilégier certaines scènes et en laisser d’autres dans l’ombre et que l’acteur ne va pas se nourrir du même matériau que le narrateur d’un livre. Et puis surtout, j’ai commencé mon travail avec un cutter en main pas un stylo…


L. L. : Olivier me laisse faire. Mais j’ai besoin de temps pour me dire que je peux, que je dois charcuter son texte. Je prends les abats, les tripes et je laisse les meilleurs morceaux. Ce n’est pas le filet qui m’intéresse, mais souvent le plus trivial. Dans Un nid pour quoi faire, c’est par exemple le côté pamphlet politique.


O. C. : Oui, mais on s’est rendu compte assez vite ensemble que dans la première adaptation manquait une dimension mélancolique, la voix secrète du Robinson qui parcourt le livre, et puis il manquait la neige, une sensation de neige...


L. L. : C’est du vandalisme, mais en même temps on discute. On peut toujours réinjecter des choses dans le texte du spectacle. Comme la neige, justement, qui va être présente dans le spectacle grâce à la vidéo. C’est pour cela qu’on a choisi de procéder par étapes, notamment en ayant fait une première lecture à Théâtre Ouvert. Pendant longtemps, tout est encore mouvant.


O. C. : C'est alors que la vraie relation s'engage. J'assiste aux premières lectures, aux premiers essais et je donne mon avis. Tout cela ressemble assez au travail du montage au cinéma. Ce n'est pas un travail d'adaptation puisque le texte n’est pas réécrit, mais de montage : une recomposition du livre à travers un nouveau protocole de sensations propres à Ludovic. Je ne peux pas rêver le livre et rêver la scène en même temps. Donc le théâtre, c’est mieux à deux.


La méthode cinématographique semble très importante pour vous…


L. L. : On travaille comme ça, comme des monteurs, avec des images. Pour Fairy Queen, déjà, je pensais mon travail grâce à des images de cinéma : des mouvements, des déplacements, des indications de regards, des lumières, des cadrages. Pour Un nid pour quoi faire, la référence qui s’est imposée est une grande dispute dans la neige, une énorme scène de ménage, qui peut renvoyer au cinéma burlesque. Ce texte produit des sensations en continu, c’est du cinéma permanent : des chromos, des empilements de rituels et de clichés. La question, dès lors, est moins d’inventer une scène de théâtre classique que d’installer un espace de projection mentale, un espace mental de cinéma si l’on veut. Le Colonel des Zouaves était une couleur, le gris. Un nid pour quoi faire, c’est de la légende, même si elle est en déconfiture. Ce texte impose de croiser énormément de genres, sans se situer précisément dans un seul et unique : le burlesque, le boulevard, la cérémonie d’apparat, la scène de ménage, le rituel de cour, l’orgie, le film de montagne, Providence à la Resnais etc. Les acteurs, d’une certaine façon, ne savent plus où donner de la tête.


O. C. : C’est moins un composite, un nuancier des genres, qu’un effet de non-genre au final. L. L. : Une machine expérimentale.


O. C. : Il s'agit de fondre les différentes couches, de compresser les références entre elles, pour produire autre chose, sans forme préétablie. Un prototype.


L. L. : Mon rôle, afin que la complexité de cette oeuvre soit entendue, consiste à simplifier le travail pour le rendre audible et visible.


O. C. : Tu ne fais pas un travail de présentation vraiment simplifiée, tu empiles plutôt des couches. Mais, au final, il faut que ça glisse, d'où l'impression de fluidité. Il faut que ça parle.


L. L. : Je cherche toujours un effet d’écoute de l’oeuvre, à faire voir sur scène la potentialité de réel contenue dans le texte. Je me définirais comme une sorte de chien de berger : je guide mon troupeau, j’amène les acteurs, le texte, la mise en scène là où l’herbe est bonne. Et là, j’attends, je bulle. Puis, quand une brebis s’égare, je vais la chercher. Cela suppose une exigence, un travail en temps réel sur le texte, pendant les répétitions, puis durant les représentations. Il faut inventer sur le plateau, in situ.


La seconde partie du Festival verra la création d’Un mage en été. Comment Laurent Poitrenaux se prépare-t-il à ce nouveau monologue, douze ans après Le Colonel des Zouaves ?


L. L. : Il prend ça bien, tout en se demandant ce qui va lui tomber dessus ! Laurent a tout en mains pour aller le plus loin possible, de la manière la plus simple possible. Le texte est destiné à cette parole précise qu’il porte, à ces gestes qu’il incarne. Il a désormais un rapport absolument direct avec nous. Il est avec nous à 200%.


O. C. : J'ai vu Laurent Poitrenaux en Jean-Luc Lagarce, qu'il incarne dans le spectacle de François Berreur (Ébauche d'un portrait). Je le vois en écrivain, avec sa machine à écrire. C’est extrêmement troublant de le voir faire revivre un écrivain disparu. Là, il doit incarner une sorte de projection de moi, un sujet qui s’occupe de mon autobiographie à ma place, c’est à triple bande. C’est comme si on avait un hologramme entre nous. Et voilà Ludovic Lagarde qui vient aussi passer ses mains pour tripoter ce fantôme. Il finit par tenir debout avec tous ces médecins autour de lui.


L. L. : Laurent nous permet de passer de l’implicite du livre à l’explicite de la scène.


O. C. : Ce qui est impressionnant c’est que vous faites voir des choses élémentaires, par exemple des ressorts du scénario que je ne vois pas, les rivalités, les jalousies, les passions. Je n’avais même pas vu qu’Alice était vraiment, je souligne vraiment, jalouse dans Fairy queen. Décidément, je dois être aveugle ! Par-delà cette délicieuse psychanalyse que vous m’offrez sur un plateau d’argent, le plus beau c’est que vous réalisez avec des moyens de théâtre à placer une voix au bon endroit. Une voix « guidée », qui trouve sa prosodie, qui trouve sa poésie au final. On s’embrasse ?


Qu’est-ce qui change dans votre relation, par rapport à un lien auteur/metteur en scène traditionnel ?


O. C. : Il n’y a jamais de langue de bois entre nous, à aucune des étapes. Personne ne dit : « Ah, c’est merveilleux le théâtre, le texte, la mise en scène. » Car tout passe par ces étapes successives et très concrètes. Par une série de soucis et de joies, ça va trop vite.


L. L. : Le rapport de la mise en scène et de l’oeuvre est différent. Il n’y a plus ce phénomène du bras de fer entre l’auteur et le metteur en scène. On ne se pose pas la question de qui a le pouvoir. Dans le cas des textes d’Olivier, le pouvoir change de mains en fonction des étapes du travail. Les atouts sont d’abord dans ses mains, puis dans les miennes, puis retournent chez lui, et ainsi de suite.


O. C. : Je ne lui demande pas de « faire entendre » mon texte.


L. L. : Parce qu’il n’est pas fait pour la scène, le texte d’Olivier a vraiment besoin d’un metteur en scène. Mais je ne suis pas à son service. Ce n’est pas une relation de pouvoir qui nous relie, mais un sentiment d’appartenir à la même cordée. On est asservi l’un à l’autre.


O. C. : Comme des moteurs sont asservis. Un asservissement volontaire. Li-bé-rez les au-teurs !


L. L. : Notre relation reste expérimentale. Olivier ne vient jamais vers moi en me disant : « Je t’écris une pièce. » Il écrit pour lui et ensuite, je lui vole des bouts dedans pour les monter ensemble et les mettre sur un plateau.


O. C. : Bon, ça ne se traduit pas en termes classiques de pouvoir. Je serais bien en peine de définir exactement mon rapport à Ludovic et au théâtre. Je n’ai pas vraiment les bons mots. C’est bien pour ça justement que je fais des livres. Ce que je peux en dire, c'est que c'est un rapport de plus en plus...


Propos recueillis par Antoine de Baecque

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