theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Trois hommes dans un salon »

: Quatre questions à François-René Cristiani

par Laurent Mulheisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

Réunir trois artistes de cette envergure a-t-il été chose aisée, techniquement mais aussi « humainement » ?
Bien plus aisé qu'on ne l'imagine ! D'abord parce qu'un jeune journaliste, peu après mai 68, ça ne doutait de rien... et ensuite parce que la revue-hôte de la rencontre, le Rock & Folk des débuts, avait très bonne presse auprès de tous les artistes. Le contact avec les entourages, puis le contact direct – en coulisses ou en studio d'enregistrement – avec les trois chanteurs, a permis d'avoir sans peine leur accord de principe. Une lettre de confirmation tapée sur ma petite Olivetti "Valentine" a fait le reste. Un premier rendez-vous, le 14 décembre 1968, a été annulé en raison de l'empêchement de Brel, je crois (il jouait depuis quatre jours L'Homme de la Mancha, au Théâtre des Champs-Elysées). Le suivant, fixé au 6 janvier 1969 à 16h30 - un lundi, jour de relâche des théâtres -, fut le bon...


Quel est le souvenir le plus marquant que vous gardez de cet entretien ?
Celui, d'abord, d'avoir vécu là l'un des moments les plus extraordinaires de ma vie, d'avoir été "porté" comme jamais par les échanges, les mots, l'humour, les idées et les provocations de ces trois grands artistes. Avec cette impression – qui demeure aujourd'hui – d'avoir, en deux heures de temps et grâce à ces trois esprits libres, « fait mes humanités », dans un registre évidemment assez différent de celui de mes anciens profs de philo, mais pas moins profond. Leur complicité ouvrait des portes qu'aujourd'hui le « politiquement correct » aurait tôt fait de refermer. Bien sûr, leur cousinage avec les anarchistes n'y était pas pour rien.


Quel regard portez-vous, près de 40 ans après, sur la période à laquelle Brel, Brassens et Ferré ont créé et interprété leurs oeuvres ? Les conditions de travail, le statut de l'artiste ont-ils changé ?
Ils avaient tous les trois mangé de la vache enragée avant de devenir finalement les trois plus grands poètes et chanteurs des années soixante... Ils se voyaient, eux, comme des artisans, durs à la tâche, pas comme des « vedettes ». Un fidèle secrétaire, un bon directeur artistique et d'excellents musiciens (eux-mêmes l'étaient tous les trois) leur suffisaient. Surtout, la littérature, la poésie, le jazz, la musique classique, l'opéra ou le cinéma leur étaient proches. Leurs fidélités artistiques constantes les ont construits tels qu'ils restent aujourd'hui : abordables, proches, et toujours indispensables. Et c'est peu dire qu'ils se préoccupaient fort peu de leur statut d'« artiste », et n'avaient nul besoin de bataillons entiers d'attachés de presse ou d'avocats pour exercer leur art. Aujourd'hui, il en va tout autrement, mais Léo Ferré, par exemple, « parti » le plus récemment, en 1993, continuait, il y a quinze ans, à faire son métier comme dans les années soixante, en artiste et en musicien libre.


En quoi les personnalités et les oeuvres de ces trois chanteurs vous semblent-elles encore « exemplaires » ?
Pour quelques-unes des raisons que je viens de dire, mais avant tout pour l'humanité – tranquille, brûlante ou provocante – qui les caractérisait et, bien sûr, leur talent, qui reste, pour chacun des trois, inégalé, dans des registres différents mais toujours au plus près de l'Homme, des mots, de la poésie et de la musique. Ils étaient et ils restent trois grands chanteurs po-pu-lai-res et, on le voit, « le temps ne fait rien à l'affaire » !


François-René Cristiani, avril 2008
propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.