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Train de nuit pour Bolina

+ d'infos sur le texte de Nilo Cruz traduit par Séverine Magois
mise en scène Célie Pauthe

: Entretien avec Séverine Magois, la traductrice

Comment avez-vous eu connaissance de la pièce ?


Les éditions de L’Arche m’avaient fait lire Anna in the Tropics[1] dès 2003, en me proposant de la traduire, mais nous avons appris qu’entre-temps les droits avaient été acquis par une tierce personne. Deux ou trois ans plus tard, L’Arche m’a fait parvenir d’autres pièces de Nilo Cruz, dont Night Train to Bolina pour laquelle j’ai eu un coup de coeur immédiat. J’ai aussitôt appelé L’Arche pour leur signaler que je la traduirais volontiers, sachant par ailleurs qu’ils étaient à la recherche de bons textes pour leur collection jeunesse.


Avez-vous rencontré Nilo Cruz ?


Non, jamais. Nous avons correspondu par mails au moment où je traduisais Train de Nuit… la rencontre aura donc lieu en janvier 2011, autour de la création. Ce dont je me réjouis. Il est toujours émouvant de rencontrer un auteur qu’on a côtoyé… à distance.


En général, comment travaillez-vous avec les auteurs pour traduire leurs textes ?


Quel que soit le chemin qui me mène à traduire une pièce (commande d’un éditeur, d’une compagnie… ou conviction personnelle que ce texte doit être découvert, défendu et finalement créé…du moins dans l’idéal), le travail proprement dit reste le même. Je commence par travailler seule, en commettant une première version assez rapide, pour pouvoir m’imprégner du texte dans sa totalité, car une pièce est un tout organique, où se créent des résonances entre les scènes, les répliques, les mots. Une fois ce premier jet établi, je le laisse reposer et me remets au travail un peu plus tard. J’essaie de résoudre le maximum de choses par moi-même, mais dès que j’ai le moindre doute, sur le sens d’une réplique, sur la nuance d’une expression, sur le détournement de la langue…j’éprouve le besoin de me tourner vers l’auteur et lui poser, souvent, de nombreuses questions. Questions auxquelles l’auteur répond en général avec une grande générosité… et avec intérêt, car il peut arriver que des questions liées à la traduction lui révèlent certains aspects de son écriture dont il n’était pas forcément conscient (un double sens, par exemple). Mais il m’est aussi arrivé – très rarement ! – qu’un auteur trouve mes questions fastidieuses et me prie, plus ou moins gentiment, de me fier à mon instinct. Nilo a indéniablement fait partie des auteurs attentifs et généreux.


Un auteur d'origine cubaine qui écrit en anglais : est-ce perceptible dans la langue ?


Autant que je me souvienne (la traduction de Train de nuit est un peu ancienne pour moi…), la pièce ne m’a pas semblé être écrite dans un anglais particulier, où subsisteraient des traces d’une autre langue, l’espagnol en l’occurrence. Je pense que cela tient au fait que Nilo s’est exilé aux Etats-Unis assez jeune (il avait une dizaine d’années, je crois). En revanche, bien sûr, la pièce demeure très latino- américaine par son imaginaire et son ancrage dans une histoire et une culture bien indentifiables, même si l’auteur ne précise jamais le pays où l’action se déroule. Je me souviens quand même d’un mot qui me paraissait assez énigmatique dans le contexte de la pièce. A un moment donné, le personnage de Clara dit à Talita :« I'll give you my slice of sweet bread at snack time. » Or « sweetbread » signifie « ris » (comme dans « ris de veau »). J’imaginais mal Clara proposer une tranche de ris de veau à Talita ! En même temps, j’avais bien conscience que Nilo Cruz avait écrit « sweet bread », en deux mots, et non un seul. Il devait forcément s’agir d’autre chose (« sweet bread » signifiant littéralement « pain sucré »). Je lui ai donc posé la question. Il m’a répondu que ce qu’il avait en tête, c’était un pain bien particulier, qu’on trouve très communément dans les boulangeries sudaméricaines et qu’on appelle à Cuba « Pan de Gloria », précisant qu’on pouvait le comparer à de petites brioches à la cannelle. Ce qui ne fonctionnait pas franchement non plus. J’ai donc fouillé mes souvenirs d’enfance, pour me rappeler qu’à l’école, à l’heure du goûter, on nous distribuait des tranches de pain d’épices. J’en ai soumis l’idée à Nilo, qui l’a aussitôt approuvée. Cette solution me permettait par ailleurs de conserver le mot « pain », très présent dans la pièce. Au-delà de l’anecdote, et pour reprendre le fil de votre question, je trouve assez révélateur que Nilo ait pensé au « Pan de Gloria » de son pays d’origine, tout en éprouvant la nécessité d’en trouver un équivalent anglais, fûtil approximatif.


Traduire, c'est écrire aussi : quelle est votre part d'engagement dans la traduction de ce texte ?


Je ne suis pas certaine que traduire, ce soit aussi écrire. Disons plutôt que c’est travailler l’écriture, la matière que sont les mots… mais ce sont les mots d’un autre. Sans cet autre, l’auteur, je serais bien incapable d’écrire. Quant à mon engagement dans la traduction de ce texte, il n’a pas été différent de celui que j’essaie de pratiquer d’habitude. A savoir la plus grande précision – ou rigueur – possible, une attention particulière au rythme, à la musicalité, à la poésie de la langue. Et le souci d’interpréter le moins possible, de laisser le texte ouvert… c’est aux acteurs de se l’approprier, pas à moi. J’estime que le traducteur doit, autant que faire se peut, s’effacer devant l’auteur… même si l’on met forcément quelque chose de soi dans une traduction, mais ce quelque chose est assez insaisissable, lié sans doute au rapport que nous entretenons plus ou moins consciemment avec notre propre langue. J’avoue que tout cela m’échappe un peu…


Quelles sont les contraintes liées à la traduction pour le théâtre ? pour le jeune public ?


Quand on traduit pour le théâtre, il faut toujours garder à l’esprit que l’on traduit pour une voix, et un corps : ceux de l’acteur. C’est lui qui portera la parole sur la scène, qui l’incorporera, au sens plein du terme et curieusement, cela me paraît être moins une contrainte qu’un accès à une certaine liberté. Si l’on fait confiance à l’acteur, à sa capacité de s’approprier une langue parfois un peu décalée par rapport à un français plus rigide, plus « normatif », alors le traducteur peut se permettre certaines audaces, qui résonneront parfois mieux sur un plateau qu’elles ne se liront sur la page. Mais j’avoue que l’alchimie demeure pour moi assez mystérieuse. J’ai du mal à identifier au juste ce qui est à l’oeuvre quand on traduit pour la scène. Sinon la nécessité que chaque mot soit compté, pesé…ce qui n’exclut pas de se tromper dans le compte ou le pesage. D’où l’avantage d’assister aux premières lectures avec l’équipe de création. Cela nous permet d’entendre enfin le texte, de le mettre à l’épreuve. Et de le rectifier si nécessaire. Traduire pour le jeune public ne présente pas pour moi d’enjeux particuliers… si le texte est bien écrit, il suffit une fois encore de rester au plus près de la langue que l’auteur a employée ou réinventée. Je n’ai donc pas l’impression de m’imposer des règles différentes quand je traduis des textes pour la jeunesse. Sinon que l’attention au rythme et à la musique du texte est sans doute plus aiguë encore.

Notes

[1] La pièce a finalement été traduite par Fabrice Melquiot et a paru aux éditions de L’Arche en 2009 sous le titre Un cigare dans la bouche de Tolstoï.

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