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Toute vérité

mise en scène Caroline Gonce

: Entretien avec Caroline Gonce

Propos recueillis par Pierre Notte

Ecrire au père, la genèse


Jean-Yves Cendrey fuit son foyer à l’âge de dix-sept ans, une maison dans laquelle n’était jamais entré un livre. Il plonge dans la délinquance, il vole, et vole notamment des livres, il se met à dévorer la littérature, puis il vole un livre de Marie NDiaye qui va bouleverser sa vie ; il va écrire à l’auteur, ils vont correspondre pendant deux ans, puis il la rencontrera. Ils sont aujourd’hui mariés, ils ont trois enfants. Il y a quelques années, Marie NDiaye et Jean-Yves Cendrey étaient tous deux invités à participer à un colloque autour de Kafka au Théâtre de l’Odéon. Cendrey, qui n’a pas été bouleversé par l’oeuvre de Kafka, a été cependant très sensible à la lecture de Lettre au père. Il a alors choisi pour la conférence de l’Odéon d’écrire sa lettre à lui, à son père. Il la lit, et sa lettre impudique et terrible, d’un humour fort et d’une violence inouïe, fait alors un effet considérable. Marie NDiaye et Jean-Yves Cendrey ont eu depuis longtemps le désir d’écrire ensemble une oeuvre commune. C’est elle qui a suggéré de se consacrer à la voix du père, en réponse au fils. Elle coupe la lettre intitulée Très cher père, et la truffe, l’augmente des réponses du père. Lui a accepté de publier le texte sans retoucher un seul mot de ce père inventé, à qui sa propre femme Marie NDiaye trouve des circonstances atténuantes, jusqu’à ce que la figure du père devienne plus sympathique que celle du fils.


Monstre de père


Ce père bourreau finit par inspirer une tendresse réelle. Daniel Martin, dans le rôle du père, a une certaine distinction, il inspire une immédiate sympathie, il n’a rien à voir avec le père autoritaire, bas du front, alcoolique. Le père doit être un homme séduisant, sinon cela devient insoutenable. L’humour est essentiel, vital sinon, dit Marie NDiaye. « C’est juste sinistre, épouvantable ! Alors que si c’est épouvantable, cela doit quand même être contrebalancé par la drôlerie et le grotesque ! ». Il s’agit d’un monologue entrecoupé de réponses, c’est un défi pour un metteur en scène. Il ne s’agit en rien d’un dialogue puisque la partition du père est écrite cinq ans après la parole du fils. C’est Marie NDiaye qui prend en charge le texte du père, l’invente, depuis la biographie qu’elle connaît, que lui a transmise Jean-Yves Cendrey, auteur d’une véritable charge autobiographique. Elle n’a jamais rencontré cet homme, le père de son mari. Elle a choisi de lui trouver des circonstances, elle lui a inventé un langage, fait de tics, de proverbes, de phrases toutes faites, elle s’est inspirée de quelques figures monstrueuses qui l’ont fascinée. Elle a inséré des éléments de faits-divers qui l’ont passionnée. Curieusement, quand le père commence à donner sa vision des choses, à raconter son enfance, le fait qu’il a été lui aussi un gamin battu, permet d’éprouver pour ce personnage ignoble une certaine empathie.


Des lumières et des ombres


Un plateau nu, une chaise, deux comédiens et des lumières. C’est tout. Formellement, le spectacle est radical, étrange. Il n’y a ni musique ni effets, c’est un spectacle presque dépourvu de déplacements. J’avais envisagé mille choses, des espaces réalistes, des meubles, des idées de mises en scène spectaculaires, mais tout devenait une offense au texte ; je ne voulais pas travestir ce que la pièce impose : une écoute, l’immobilité, des espaces délimités par des lumières précises, un travail presque savant sur les ombres. Le créateur des lumières a ciselé soixante installations, il modèle des espaces, des ombres sur les visages des comédiens, les fait vieillir de trente ans en quelques secondes, et imperceptiblement. C’est la lumière qui fait changer les espaces, qui raconte le temps qui passe. Cette étrangeté est inhérente à l’écriture même de ce dialogue qui n’en est pas un ; c’est bien le monologue d’un fils auquel un père mort répond. Le père, assis, et le fils, debout, sont dans des lumières latérales, il n’y a que très peu de mouvements. Je ne voulais pas les mettre dans une situation de dialogue réaliste, il fallait qu’ils soient séparés sur le plateau, mais ensemble, et distinguer le temps qui les sépare, leur registre, percevoir aussi les langues de Marie NDiaye et de Jean-Yves Cendrey qui sont radicalement différentes. Le texte mêle deux voix distinctes, deux visions opposées du monde. Un jour, je ferai une mise en scène dans une cuisine avec des vrais accessoires ! C’est là exactement le spectacle tel que je rêvais de le faire, il répond à mon sens exactement à tout ce qu’exige et impose l’étrangeté du texte.

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