: Extraits
PÈRE : Toi, mon fils, je te prédis la même injustice. Puissent tes enfants (tu as des enfants ?) te reprocher chaque geste, chaque mot, chaque intention ! Puissent tes enfants livrer à un public hostile et partial le récit de tes petites indignités humaines ! Tu verras, tu verras. L'enfant est un bon serviteur et un mauvais maître. Je souhaite que tes enfants te dominent et qu'ils t'humilient devant des gens comme ceux qui sont là à t'écouter me calomnier alors que nous n'avons pas gardé les cochons ensemble, eux et moi, et de quel droit ont-ils accès aux petits secrets de ma pauvre vie ? Cela ne vous gêne pas ? Vous en voulez encore ? C'est qu'il ne vous a pas tout dit, mon fils écrivailleur et bavard.
FILS : Un après-midi, au motif que je n'épongeais pas de la bonne
manière l'eau qu'un orage chassait sous notre porte, tu me plantas
dans le cul un coup de pied d'une violence atroce, qui me cloua au
sol, auquel cependant je m'arrachai en hurlant, pour te frapper
avec rage, et te cracher à la gueule la promesse que jamais plus tu ne me toucherais,
ou que je te tuerais.
J'avais dix-sept ans. La peur, qui venait de m'abandonner, t'a aussitôt
enfourché. Je te vis vaciller sous son étreinte, t'appuyer à la table de la salle
à manger, choisir de ricaner, mais comme ricanent les imbéciles dans la
défaite, et j'eus la conviction que tu n'oserais plus jamais rien contre moi, le
paradoxe étant que ma détermination à te tuer, en ne t'échappant pas,
venait sans doute de te sauver la vie.
Marie NDiaye - Jean-Yves Cendrey
Toute vérité. (Puzzle). Gallimard
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