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: Lettre à un metteur en scène

«Je vous prie de lire à la troupe les deux paragraphes suivants car je crois que cela peut les éclairer sur les intentions de la pièce, sa ʺSignificationʺ.
Elle traite de l’échec ordinairement précoce et particulièrement humiliant qui frappe l’artiste. Il s’est, au début de sa vocation, quasi totalement dédié à son oeuvre. Ainsi que le dit sincèrement Mark, l’intensité du travail, les défis et exigences inlassables qu’ils lui imposent (quotidiennement dans la plupart des cas) lui laissent si peu de lui-même, après les heures de travail, qu’une existence simple, paisible, lui est impossible. Dans certains cas, qui peuvent nous sembler familiers, il a peur de répondre à un téléphone qui sonne, peur d’un serveur dans un restaurant, peur de sa respiration et des battements de son propre coeur. Il a peur des couverts sur la table. Il a peur de la réaction de son petit chien.
Au début, dans sa jeunesse, sa bonne santé lui a permis de mener de front son oeuvre et sa vie intime. Désormais, même s’il ne le montre pas, il a gardé un grand appétit sexuel. Il consacrera à se trouver une femme la même énergie qu’il apporte à son travail. Au début la femme acceptera, feindra d’accepter, la priorité absolue qu’il accorde à son oeuvre. Puis la femme n’admet plus – ça se conçoit – d’être constamment reléguée à la seconde place et le fera payer (se vengera) par de multiples aventures ou simples rencontres, parfois aussi voraces que celles de Miriam. Sa jeunesse passe. Sa santé l’abandonne. Puis, le travail accroît ses exigences ; il ne se contente plus de l’essentiel de lui-même mais le requiert pratiquement tout entier. L’oeuvre apparaît en fin de compte comme une tentative impuissante de faire l’amour. A ce stade, il est condamné à mort et, à mesure que la mort approche, il n’a pas le réconfort de ressentir qu’une quelconque part de son oeuvre a eu quelque valeur. La femme est dégoûtée par son état de délabrement et souhaite passer le moins de temps possible avec lui. Quelque part en elle subsiste, inconsciemment, un amour pour lui dont le sentiment ne peut s’exprimer qu’après la mort de l’artiste.
J’espère avoir dit quelque chose d’utile. »

Tennessee Williams, 1969

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