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: En transit sur la terre

Jusqu'à la fin de sa vie, Tennessee Williams a écrit. Pourtant, ceux qui aiment son oeuvre n'en connaissent qu'une partie. Celle écrite, jouée et filmée entre 1945 et 1961. Celle qui le fit triompher à Broadway puis à Hollywood. Celle qui met en scène des lieux, des personnages, des situations inspirés par son enfance, douloureuse et instable, de petit Américain du Sud puritain des États-Unis.
En 1961, quelque chose se brise en lui. Peut-être la perte de l'être aimé. Sûrement la fin d'un cycle d'écriture. Débute alors, pour Tennessee Williams, une décennie de dépression, accompagnée d'alcool, de médicaments et de rencontres sans lendemain.
Tokyo bar, créé en 1969 à New York Off-Broadway, est le témoin de cette période.


C'est la première fois, à ma connaissance, que Tennessee Williams se représente sous les traits d'un artiste. Alors que jusque-là ses fragiles héros étaient incapables d'explorer leurs propres failles et angoisses pour produire une oeuvre, Mark est un grand peintre reconnu. Mais, c'est un génie qui a déjà produit le meilleur de son oeuvre. Un dinosaure admiré et célébré. Le dernier représentant de l'expressionnisme abstrait à l'époque du pop’art, de l'art conceptuel ou du minimalisme. Comme si Jackson Pollock avait survécu. Plus tout à fait actuel et pas encore immortel. Comme Tennessee Williams dans les années Soixante, blessé et isolé. A l’instar de Mark, Tennessee refuse d'abdiquer et garde ses dernières forces pour chercher et créer.


Et si le peintre est un miroir de l'auteur, la femme du peintre représente la vie sentimentale de l’auteur, vorace et volage. Miriam, la femme de Mark, lointaine cousine de Blanche Dubois par son avidité sexuelle, joue à "la roulette russe amoureuse", comme si sa vie dépendait du succès de sa drague.
Il n'y aura pas de miracle à Tokyo. Le couple infernal ne survivra pas à ce voyage au Japon. Mais, Mark et Miriam vérifieront, une fois encore, qu'ils ne peuvent ni vivre ensemble ni vivre séparés. Ni sans toi. Ni avec toi. Et ce bar, suspendu entre ciel et terre, posé au dernier étage d'un hôtel vertical, sera la dernière station avant de rejoindre la maison des morts.


Pour une fois, Tennessee Williams trimballe ses personnages très loin de son Sud natal, cadre de ses premières pièces. Ici, le langage n'évoque pas une région des États-Unis, où les accents sont aussi puissants que ceux du Midi de la France. Et c'est dans une langue fracturée qu'essayent de communiquer, une ultime fois, un grand artiste et celle qui fut la femme de sa vie.

Gilbert Désveaux

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