L’oeuvre de Tarik est désormais entre les mains de la compagnie. Le grand défi de ce projet est de faire fusionner cette tragédie avec l’état d’esprit et l’engagement de la SF qui, je le rappelle, est de venir déposer le théâtre au pied des gens. Dès lors, il n’est pas question de se répandre en contingences scénographiques réalistes et lourdes mais bien de mettre en avant les seules qualités d’interprétation de l’équipe artistique et la puissance évocatrice du texte. Pour cela, plusieurs choix de mise en scène sont faits.

Tout d’abord, il s’agit de laisser au spectateur sa part du chemin à parcourir. Ce qui m’importe c’est d’inviter le public à venir simplement écouter une histoire, lui laisser le choix des images, des lieux et des situations comme à la lecture d’un livre. Dans la mise en scène, cela se traduit par un plateau nu ; seules la musique et la lumière viennent épauler les spectateurs dans leur ressenti. Le dancing, la boue, la voiture apparaîtront d’eux-mêmes, transportés par le blues des musiciens. De même, je souhaite que les comédiens n’aient pas ou peu d’adresses entre eux, qu’ils envoient frontalement l’histoire de « Suer ». Ainsi pris à parti, le public peint ses propres couleurs et se sent « metteur en scène » d’une histoire commune.

Parce que la compagnie a vu les pages blanches de « Suer » se remplir sous ses yeux, je souhaite que la mise en scène laisse transparaître les traits de crayons de l’origine. Il faut que le public voie, comme nous, ressortir la détresse et la brutalité de l’oeuvre dans son plus simple appareil. Ainsi le texte de Tarik est-il présent grâce aux didascalies lues par un narrateur.

La direction des comédiens est faite sur la base de l’empêchement. En effet, nous avons pu constater au fil de nos lectures publiques que la tension extrême du jeu provient du fait de « ne pas jouer l’oeuvre ». Restreindre physiquement et spatialement les comédiens, les contraindre à ne pas mener leur jeu à bien, tout cela apporte une certaine justesse d’interprétation de l’oeuvre. Il s’agit d’empêcher les comédiens de se « répandre dans leur art » pour créer une ambiance électrique qui sert le propos de la pièce tout en forçant l’imagination du spectateur.

Toutes ces pistes mènent « Suer sur des draps propres » vers une forme scénique très légère, transposable en petites et grandes salles, à l’instar des dernières créations de la compagnie. Nous répondons ainsi à la nécessité du théâtre « Tout-Terrain » prônée par la compagnie et défendons l’essence brutale de l’oeuvre de Tarik Noui.

Sébastien Foutoyet