: Entretien avec tg STAN
Succédant à Tout est calme, « Sauve qui peut », pas mal comme titre constitue le second volet de ce qui doit être une « trilogie Thomas Bernhard » : pouvez-vous nous présenter ce projet – et préciser la place qu’y tient « Sauve qui peut »… ?
tgSTAN : « Thomas Bernhard est un auteur
très important pour nous, depuis les débuts
de la compagnie, et il le restera aussi à
l’avenir. En 1991, des textes de Bernhard
ont été incorporés au spectacle Het is nieuwe maan en het wordt aanzienlijk frisser (“C’est la nouvelle lune et il commence à faire nettement plus frais”). En
1993, STAN a mis Gewoon Ingewikkeld
(Simplement compliqué) à son répertoire, et trois
ans après la compagnie a adapté un roman
de Bernhard pour créer la pièce Oude Meesters
(Maîtres anciens). Après Tout est calme en 1999
(d’après Sur les sommets, le repos) est née l’idée
de composer une trilogie Bernhard.
Alors que Tout est calme se déroulait dans un
milieu intellectuel, universitaire, “Sauve qui peut”, pas mal comme titre met en scène d’autres
couches de la population : la bourgeoisie, le
petit peuple, les militaires. La structure de
Tout est calme est plutôt classique, composée
pour la majeure partie de monologues ; les
“Dramuscules” sont à la fois typiques du
style de Bernhard et pas du tout ; il s’agit de
sketches dialogués. Le choix du troisième
volet de la trilogie n’a pas encore été
arrêté ; nous avons de toute façon
l’intention d’y faire apparaître un autre
aspect de la société et une autre facette de
Bernhard en tant qu’auteur.
« Sauve qui peut », pas mal comme titre est en fait une réplique tirée de la pièce Au but. Pourquoi l’avoir choisi comme titre générique de cette série de cinq “Dramuscules” ?
tgSTAN : « Avant de créer “Sauve qui peut”, pas mal comme titre, nous avons suivi trois pistes de
réflexion à la fois. La première était la pièce
Au but ; nous l’avons finalement exclue parce
que le résultat aurait de nouveau été un
spectacle relativement classique, et aussi
parce que ce n’était pas vraiment la pièce
que STAN souhaitait jouer à ce moment-là.
Les deux autres pistes ont été conservées
dans “Sauve qui peut”… : la mise en lumière de
différents aspects de la société à travers les
textes brefs et mordants des
« Dramuscules », et la présentation d’une
série d’actions et de manipulations sur
scène.
La piste Au but subsiste cependant dans le
titre du spectacle. Dans cette pièce de
Bernhard, une mère et sa fille ont vu un
spectacle intitulé Sauve qui peut, ce qui fait
remarquer à la mère : “Ce n’est pas mal comme titre”. Cette citation exprime l’approche
qu’adopte STAN pour la mise en scène des
“Dramuscules” ; le titre du spectacle évoque
l’état actuel du monde, la mentalité du
“chacun pour soi” qui est le fil conducteur
des différents sketches.
En fonction de quoi avez-vous choisi, parmi les sept petites pièces qui composent la série « Dramuscules », les cinq que vous présentez dans ce spectacle ? Et de quelle manière avez-vous organisé la dramaturgie de l’ensemble – avec ces acteurs qui se changent sur scène, cette Marche de Radetzky jouée à chaque interlude…
tgSTAN : « Lors de l’adaptation, nous avons
éliminé – après de longues hésitations –
deux des sept “Dramuscules” : Le Déjeuner allemand, parce que c’est un texte trop
explicite, et Tout ou rien parce que ce sketch,
qui s’attache trop spécifiquement à la
politique autrichienne, est difficile à
“universaliser”.
La dramaturgie des changements de
costumes, la Marche de Radetzky, les
manipulations de la table de tapissier, etc.,
sont le résultat de la troisième piste déjà
évoquée. En effet, nous avons voulu
continuer la réflexion sur les actions sur
scène démarrée avec Du serment de l’écrivain du roi et de Diderot.
Associés aux “Dramuscules”, ces interludes
apportent davantage d’espace aux récits.
S’ils sont proches des “revues burlesques”,
ils constituent aussi des silences lugubres
qui dépouillent le spectacle de son
“entrain”, rendant les dialogues et
“trialogues” des “Dramuscules” plus
pénibles et difficiles à supporter. Ils
laissent au spectateur le temps de se
demander : “Mais qu’est-ce qu’ils viennent de dire, au juste ?”
De plus, les changements de costumes ne
se contentent pas de signaler : “A présent, je passe à un autre rôle.” La surabondance de
costumes constitue un univers à elle toute
seule, elle donne un aperçu de toutes les
existences que nous ne pourrons pas vivre.
Toutes ces métamorphoses fournissent des
images souvent en contradiction totale
avec le texte. Elles contribuent aussi à la
confusion qui est également présente au
niveau du texte (“Qu’est-ce qu’ils disent, au juste ? Qu’est-ce qu’ils veulent dire, au juste ?”). En
n’illustrant pas ce qui est dit, elles offrent
au public la liberté lui permettant de mieux
écouter.
Le théâtre de Thomas Bernhard passe beaucoup par la langue et les mots : dans quelle mesure diriez-vous que ce style très particulier correspond au travail de tgSTAN, très axé sur le jeu, et à votre recherche sur l’« acte de jouer » ?
tgSTAN : « La langue et l’oeuvre de Thomas
Bernhard possèdent de grandes affinités
philosophiques avec les principes qui soustendent
le travail de tg STAN. La principale
correspondance se situe dans le
retournement des contenus ; c’est un
procédé auquel notre ancien professeur et
collègue Matthias de Koning a apporté une
grande contribution – et continue à le faire
– au sein de STAN.
Tout comme Bernhard manie très souvent
le retournement (une chose est vraie, mais
son contraire l’est tout autant), STAN
recherche en permanence “l’autre extrême”
dans ses spectacles. Il ne faut pas
nécessairement le montrer explicitement,
ou il ne doit pas être clairement discernable
dans le résultat, mais il faut au moins avoir
examiné cet extrême donc ce qui est
“inversement faux”, et il doit être sousjacent,
perceptible. Il s’agit d’explorer la
limite de ce qui n’est plus vraiment
admissible, de franchir cette limite, puis de
rebrousser chemin.
Les textes et le langage de Bernhard, tout
comme le jeu de STAN, visent souvent à
prendre les spectateurs à contre-pied, à
l’ébranler, à le troubler ; mais c’est
également pour cette raison qu’ils
fonctionnent à tant de niveaux à la fois. Et
comme le font les membres de STAN dans
leur jeu, Bernhard permet souvent à ses
protagonistes une réflexion sur leur état de
personnage, ou les laisse relativiser leurs
propres propos. Les textes de Bernhard
interpellent le spectateur, qui se demande :
“Qu’est-ce qu’il veut réellement dire ?” ; le jeu de
STAN y ajoute une dimension
supplémentaire : “Quelle est la véritable attitude du comédien envers son personnage ? ” »
Propos recueillis par David Sanson
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