Je garde de mes années allemandes où j’ai assisté Thomas Ostermeier, et de mes échanges avec Falk Richter l’envie de plateaux crus et non policés, et un rapport direct au public.

Et s’il fallait citer quelques artistes auxquels je pense toujours en travaillant, ce serait à :

Pina Bausch pour l’onirique du quotidien
Raimund Hoghe pour l’errance
Godard pour sa littérature qui se permet tout, et où la fiction s’invite dans le documentaire
Almodovar pour sa conduite magistrale du récit et aussi pour le kitsch.

Tout ça, c’est peut être un rêve d’enfant, mais comme le plateau de théâtre est l’endroit où on peut être à la fois danseuse et écrivain, alors… Le théâtre, pour moi, c’est donner corps à la littérature, rendre l’écriture charnelle.

Il n’y a pas de personnages, il y a des acteurs, au sens d’actants, qui sont des figures, dans leur dimension sociétale, et ces acteurs donnent corps à mes endroits d’admiration, de révolte, d’interrogation, d’étonnement – à la fenêtre par laquelle je questionne le monde.

J’aime que l’acteur joue et ne joue pas, qu’il travaille sur un jeu documentaire, qu’il soit sur ce fil qui fait le lien entre le public et le plateau, qu’il échoue même parfois à nous raconter, qu’il lutte dans cet échec, avec l’humour qui va avec.

J’aime le ludique du rapport au public, et j’adore les bides.

Pas de personnage donc, ni de quatrième mur.

J’aime que le plateau soit un paysage mental, avec des effets de zoom, de très gros plans qui laissent le spectateur libre de reconstituer un puzzle.

Car pour moi, le but et la raison d’être du travail de plateau, c’est bien de rendre les spectateurs maîtres de leur fiction ; donner des éléments de rêve et de réel, de texte et de corps, proposer un voyage libre et individuel mais dans une enceinte collective.

Le plateau n’est pas dans mes créations un lien d’identification mais une surface de projection où chacun écrit sa propre histoire.

Anne Monfort