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Ranger (sa vieille maîtresse)

+ d'infos sur le texte de Anne Monfort
mise en scène Anne Monfort

: Note sur l’écriture scénique et méthodologie de l’adaptation

Je lis beaucoup, surtout des romans contemporains. Souvent, les thématiques qui m’apparaissent indispensables à porter au plateau sont politiques, et font écho à mon décalage ou à mes révoltes face au monde.
Depuis longtemps, j’avais envie de faire un spectacle sur l’amour parce que je pense que nos relations intimes sont de fait éminemment politiques, surtout à une époque où on utilise les mêmes termes pour parler d’amour que pour parler d’argent – investir dans la bonne relation, savoir rebondir au bon moment. J’ai retrouvé Une vieille maîtresse de Barbey d’Aurevilly en 2007, suite au film de Breillat. J’avais lu ce roman mal, ou il y a trop longtemps.
Envie de faire un spectacle sur l’amour aussi parce qu’il me semble que l’histoire d’amour, irracontable dans sa singularité, est essentiellement un objet sensible de plateau qui se construit à partir d’objets épars (ce qui constitue la colonne vertébrale de mon chemin théâtral).


Le texte de Barbey, dans une société catholique et réactionnaire, parle de compulsion de répétition sexuelle, choix radicaux – de vie, de point de vue, de mode d’existence (les personnages d’Une vieille maîtresse font un choix – en général, tomber amoureux – qui détermine toute leur vie, jusqu’à la tragédie).
J’aime aussi dans ce roman l’écriture en marche, la contradiction d’un auteur avec lui-même, qui navigue à vue pour passer d’un épisode du roman à l’autre.


A ces attirances dramaturgiques, s’ajoutait celle d’une dimension très visuelle, très scénique : la Normandie d’Une vieille maîtresse renvoie au front de mer normand d’aujourd’hui, aux restes d’une splendeur passée, hôtels autrefois brillants, casinos un peu abandonnés.
D’où l’envie d’amener ce roman qui évoque le voyeurisme social dans une salle de spectacle. Mais une salle de spectacle vide : les spectateurs sur le plateau, avec les interprètes, la salle vide à l’arrière-plan, écho de cette époque où on regardait plus la salle que la scène.


Comment représenter l’amour, la relation amoureuse ? Soient différents éléments :

  • une tasse de thé fumante
  • une carpette en peau de tigre
  • des huîtres
  • un canapé ensablé
  • un rouge à lèvres
  • une relation de dix ans
  • du vin rouge (beaucoup)
  • un coeur (à définir en termes médicaux, cela pourrait aider)
  • une brique

Intégrer tous ces éléments dans plusieurs narrations différentes. Les confier à des interprètes distincts. Comment on peut raconter l’intime à partir de miettes. Avant ou après : on raconte souvent – et Barbey le premier – l’histoire d’amour par le début ou par la fin, rarement par le centre.


Nous allons transposer au plateau un principe du roman - mettre en scène les versions de chacun des protagonistes d’un souvenir partagé. La même scène se répète, se décline, comme un souvenir qu’on modifie en se le remémorant.
J’aimerais ici raconter au plateau le brouillage du réel, comme le nouveau roman le pratique en littérature. L’état d’esprit de celui qui regarde modifie l’objet qu’il observe. Cette Vieille maîtresse sera une variation scénique sur les limites de soi et du monde – le réel n’existe pas, il n’est jamais que ce qu’on en voit.


Je m’intéresse habituellement assez peu aux personnages, et beaucoup plus aux acteurs, y compris dans leur dimension autofictionnelle ; j’aime que les acteurs construisent et déconstruisent la forme, en repassant systématiquement par un degré zéro qui est eux-mêmes. La lecture que les interprètes font du roman devient à son tour matière du spectacle. L’ensemble se construisant à vue, le musicien, Baptiste Tanné, sera présent sur le plateau, et proposera sa propre lecture du texte, en composant en direct.


Il m’intéresse, dans ce spectacle, de travailler sur l’appropriation du roman par les interprètes, entre acteurs et personnages. (Au cours de mes lectures sur Une vieille maîtresse, j’ai lu L’absence d’oiseaux d’eau d’Emmanuelle Pagano : deux écrivains y jouent à l’amour, écrivent l’amour jusqu’à ce que la romance se fasse plus vraie que nature, créant un trouble sur le degré de réalité.) Je vais m’inspirer de ce principe d’écriture pour le travail des acteurs, qui seront amenés à être dans un perpétuel aller-retour ludique entre le réel et la fiction, explorant les limites entre degré zéro et mise en jeu.


Les personnages de Marigny et Vellini (joués par Yann Lheureux et Solène Froissart) ressemblent à des acteurs qui rejoueraient toujours la même scène, sur différentes modalités – lui par le romanesque (il ne cesse de se raconter), elle par la présence et des matériaux textuels plus contemporains.


Charlène Strock, qui est performeuse, prendra en charge la figure d’Hermangarde (la jeune épouse délaissée lorsque Marigny reviendra à sa vieille maîtresse). Ce personnage parle à peine, mais court dans la neige, fait une fausse couche, manque de mourir ; dans cette société de la parole, elle traduit tout par un corps qui se met en danger perpétuellement, se jette dans un monde qui n’est pas le sien et qui lui fait violence. Il m’intéresse ici de convoquer les outils de la performance pour raconter le risque et la lutte.


Finalement, le spectacle sera une suite de tentatives, de différents genres. Entre des scènes d’errance, d’inventaires, d’approche de la question de l’amour, les acteurs-personnages raconteront le roman, chacun selon son questionnement : une Hermangarde, trublion amenant avec elle le risque et la performance, une Vellini qui veut ramener à la théâtralité tragique, un Marigny qui ne cessera de compenser dans la parole.
Contrairement au premier volet Tout le monde se fout de la demoiselle d’Escalot, où la performance, le texte et la musique étaient juxtaposés pour traiter la question du personnage secondaire, nous travaillerons ici à mêler les genres pour transposer le dialogue entre les personnages. Des errances, des inventaires, des fragments, des tentatives d’approcher sensiblement et sensoriellement l’amour, avec nos questionnements d’aujourd’hui.

Anne Monfort

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