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Onder de Vulkaan (Sous le volcan)

+ d'infos sur l'adaptation de Josse De Pauw ,
mise en scène Guy Cassiers

: « Derrière » le volcan

Par Erwin Jans, dramaturge

Pour Guy Cassiers, la décision de porter à la scène le roman Under the volcano/ Sous le volcan (1947) de Malcolm Lowry n’est pas l’effet du hasard. Ce choix s’inscrit dans la longue série de romans que Guy Cassiers a mis en scène au cours des dernières années, et dont À la recherche du Temps perdu (Marcel Proust), Hersenschimmen/Chimères (J.Bernlef), Bezonken Rood/Rouge décanté (Jeroen Brouwers) et Mefisto (Klaus Mann) sont sans aucun doute les plus importants. Cette saison, Guy Cassiers s’attaque à un projet en trois volets autour du roman L’Homme sans qualités de Robert Musil.


Le roman en tant qu’espace de liberté


Le roman stimule l’imagination de Guy Cassiers bien plus que ne le fait un texte de théâtre : « Comme Proust, Musil et Lowry, qui ont redessiné l’art romanesque et créé quelque chose d’incomparable, je veux toujours créer un spectacle qui n’a jamais été montré. Le roman m’en offre l’espace, précisément parce qu’il n’est pas conçu pour le théâtre. L’auteur d’un roman ne se restreint pas aux lois rigides du théâtre. Dans le texte de théâtre classique, toute l’information doit être contenue dans les dialogues, et il faut s’en tenir à un nombre limité de lieux. En fait, les lois dramaturgiques sont les séquelles des limitations techniques historiques. Aujourd’hui que ces limitations sont abolies, un espace plus libre se dégage sur la scène, dans lequel on peut faire entendre les pensées d’un personnage, sa réflexion intérieure. Il est aussi plus aisé de faire intervenir un narrateur qui entre et sort de l’action, et de changer le lieu de l’action. Tout comme dans un roman. »


Sous le volcan : plus qu’un roman


Sous le volcan narre l’histoire du dernier jour tragique de la vie de Geoffrey Firmin, consul britannique au Mexique. Peu d’ouvrages de la littérature mondiale ont décrit l’univers d’un ivrogne avec autant de justesse et de dureté, mais aussi avec une fascination et une émotion poignantes. Sous le volcan est aussi l’histoire touchante d’un amour impossible. Mais c’est aussi, comme tous les grands romans, bien plus qu’un simple roman.
Car ce n’est pas seulement un roman sur l’éthylisme et l’amour. C’est aussi un roman politique qui se déroule à l’ombre de la guerre civile d’Espagne, du fascisme naissant au Mexique et de la menace de la Seconde Guerre mondiale. C’est un roman religieux sur la quête désespérée de rédemption d’une âme. Lowry est parvenu à rendre à travers la figure du Consul ivre quelque chose de la confusion, des désirs et des angoisses du XXe siècle. La petite ville mexicaine de Quauhnahuac (le nom ancien de Cuernavaca) dans l’ombre des deux volcans, Popocatépetl et Ixtaccihuatl, est la version personnelle que donne Lowry du waste land, cette terre bréhaigne moderne de l’âme, à laquelle le poème du même nom de T.S. Eliot a donné sa stature littéraire. L’effritement de l’individu et de sa conscience torturée, aliénée, est le thème de Sous le volcan. Tandis que lui-même implose, la langue explose en pure poésie. Car le roman est avant tout un chef-d’œuvre littéraire.



Josse De Pauw en Consul et en adaptateur


Guy Cassiers a demandé à l’auteur, acteur et metteur en scène Josse De Pauw d’interpréter le rôle de Geoffrey Firmin mais aussi d’adapter le roman pour la scène. Josse De Pauw : « J’ai lu le livre pour la première fois vers mes 25 ans, mais sans pouvoir le terminer. Ce qui me touchait à l’époque, c’était le côté bravache de son romantisme marginal, l’atmosphère « bukowskienne » de l’alcool et du caniveau, mais dans un décor exotique. Plus tard, j’ai continué à le reprendre en mains et c’est devenu mon livre préféré. J’y découvre sans cesse plus de strates. S’il ne s’agissait que de boisson et d’autodestruction, le livre serait loin d’être aussi riche. » Que Josse De Pauw se soit vu confier cette mission ne tient pas du hasard. La solitude, la mélancolie, l’observation poétique, le mélange d’épique et de lyrique, le voyage, l’exotisme, l’aliénation, l’autodérision, la boisson, l’amour (impossible)… sont autant de thèmes que nous retrouvons dans ses propres œuvres, comme les pièces de théâtre Ward Comblez (1989) et Het Kind van de Smid/L’Enfant du forgeron (1990), et dans nombre de ses notes et observations de voyage, réunies dans le recueil Werk (2000). La même sensibilité caractérise son jeu d’acteur. La préoccupation de De Pauw envers le pouvoir (et le fascisme) se dégage de textes comme Larf (2000) et du projet de 2002 bâti sur des témoignages d’anciens SS (sur la base du livre des écrivains hollandais Armando et Hans Sleutelaar). Josse De Pauw était donc tout désigné pour réaliser cette adaptation, compte tenu du fait qu’il en interprète le rôle principal. Son adaptation de Sous le volcan ne saurait être dissociée du contexte scénographique : le texte n’a pas vu le jour en amont ou séparément de la réflexion sur la mise en scène, mais en son sein et en son cours.
De Pauw en parle en ces termes : « Le livre déborde de données, et le public de théâtre n’a pas la possibilité de revenir en arrière pour relire. Impossible aussi de montrer des notes de bas de page sur la scène. J’ai donc dû beaucoup couper. Et puis, nous montrons beaucoup de chose par le biais des projections vidéo, des équivalents imagés de références littéraires. Il ne me serait jamais venu à l’idée d’adapter un roman aussi complexe pour la scène, mais lorsque Guy Cassiers me l’a demandé, je me suis dit : de cette façon-là, c’est peut-être possible. Sa méthode apporte de nombreuses solutions, on peut montrer en images tout ce qui est impossible à exprimer par les dialogues. »


Prises de vues au Mexique


L’histoire se déroulant en grande partie à Cuernavaca et dans les environs, Guy Cassiers a décidé d’aller filmer sur place. Accompagné de Josse De Pauw, Arjan Klerkx (prises de vues) et Diederick De Cock (son), il a visité les lieux les plus importants du déroulement de l’action. C’est la première fois que Guy Cassiers filme en extérieurs pour un spectacle. « Je voulais explorer la littéralité. Le cadre exotique du Mexique est essentiel pour comprendre l’aliénation du Consul. » L’équipe s’est donc rendue sur place pour opérer des prises de vues et de sons de cantinas, jardins, ruelles, maisons, une église, des musiciens, des rodéos de taureaux… sans pour autant vouloir donner une image documentaire du Mexique. Les images et les sons ne sont pas montrés au premier degré, mais retravaillés : « Je voulais filmer littéralement l’entourage mais pour l’intégrer d’une tout autre manière au spectacle. Dans le spectacle, les images du Mexique font partie d’une hallucination. Elles représentent la dégradation morale des quatre personnages principaux. Je pars du factuel pour mieux m’en défaire dans le spectacle » L’intention est de plonger le spectateur dans un monde insolite : « Pour évoquer l’atmosphère du Mexique, nous soumettons les spectateurs à un bombardement d’images. L’ingénieur du son a enregistré avec cinq micros, et dans la salle nous avons disposé un cercle de haut-parleurs pour renforcer l’effet spatial. On entend un avion à hélices vrombir, un taureau mugir, un orchestre de rue jouer la mélancolique chanson d’amour Flores negras : "Flores negras que el destino nos apartam sin piedad". Les fleurs noires que le sort sans pitié nous a assignées. Nous avons demandé à tous les mariachis que nous avons rencontrés de jouer Flores negras, parce que le livre en parle. Dans la représentation, c’est Bert Luppes qui chante la chanson. Il joue le rôle de Jacques Laruelle, qui fait office de narrateur. Un narrateur coupable : il a été l’amant de la femme du Consul. »


Un monde intérieur


« Le spectacle commence par un grand vide. Il n’y a pas d’accessoires sur le plateau, à une simple chaise près. Les acteurs sont devant un grand écran en toile de fond, et derrière cet écran se trouvent encore quelques petits écrans mobiles. Les projections se déroulent tant sur le grand que sur les petits écrans, souvent en même temps, donnant naissance à une image kaléidoscopique : le monde intérieur du Consul. Sur la scène, les personnages ne font que parler. La plupart de leurs actions ont été filmées d’avance et sont projetées sur les écrans. Ainsi, on boit beaucoup dans l’histoire. Je ne voulais pas de bouteilles et de verres, concrètement, sur la scène. Ce réalisme était par trop réducteur. Les verres, le remplissage des verres, les verres vides que l’on repose : tout cela a été filmé. On ne voit pas les personnages, mais leurs mains autour des verres. Déconnecter les personnages sur la scène de leurs actions sur l’écran fait disparaître l’anecdotique. Car il ne s’agit pas d’une histoire sur la boisson et l’ivresse. L’alcool représente ici bien plus qu’une toxicomanie. Il s’agit d’une perspective, d’une certaine manière de voir le monde. La boisson n’équivaut pas seulement à l’autodestruction. Notre message n’est pas : après la représentation, précipitez-vous aux AA. La boisson offre aussi une solution au Consul. C’est dans l’ivresse qu’il crée son propre monde, un monde supportable, loin du monde extérieur, inacceptable. Il en fait un monde agrandi à la puissance du mythe, une création littéraire. »

Volcan et explosion


« Pour moi, ce spectacle ne fait pas que traiter de la déchéance du Consul, mais aussi de la déchéance du monde. Le roman est situé à la fin des tragiques années 30 du siècle dernier. Le volcan dans le titre est aussi la déflagration menaçante de la Seconde Guerre mondiale. À la fin, lorsque le Consul est tué par un groupe fasciste paramilitaire et jeté dans un ravin, il a une vision apocalyptique, celle de millions de corps en feu ! Dans les trois volets du Triptyque du pouvoir, je me suis aussi concentré sur la guerre. Le grand projet de L’Homme sans qualités auquel je m’attelle aujourd’hui se déroule en 1913, à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce sont des moments dramatiques où toutes les valeurs sont remises en question. Musil le fait sous la forme d’une parodie, avec ironie et dérision grotesque. Chez Lowry, c’est l’élément lyrique et mélancolique qui domine. »

Le spectateur à la table de montage


Dans le roman, le cinéma joue un rôle appréciable. Ainsi, Jacques Laruelle, un ami d’enfance du Consul, est cinéaste, et Yvonne a eu son heure de gloire en tant qu’actrice à Hollywood. Laruelle est une figure importante. C’est lui qui fait renaître l’histoire en s’en souvenant. Le roman s’ouvre sur la journée du 2 novembre 1939, exactement un an après la journée qui fut fatale tant au Consul qu’à Yvonne. Dans une cantina, Laruelle se voit remettre des lettres –jamais envoyées – du Consul à Yvonne. Voilà le début de l’histoire. Il se souvient alors des événements passés. « Pour moi, le grand écran en toile de fond est la table de montage et les images qui y sont projetées, des souvenirs qui n’arrivent pas à former une image cohérente. Laruelle n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé.
Le collage d’images vidéo doit exprimer ce monde intérieur, et les images du monde extérieur sont dénaturées grotesquement jusqu’à en être hallucinatoires. C’est une déconstruction, à partir de laquelle le spectateur peut composer son propre spectacle. »

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