: Juste avant l’explosion…
La saison dernière, le Festival d'Automne et le
Théâtre de la Ville accueillaient le Triptyque du
pouvoir : Mefisto for ever, d’après le roman de Klaus
Mann ; Wolfskers, d’après les films de Sokourov sur
Hitler, Lénine, Hiro Hito ; Atropa, la vengeance de la paix, renvoyant à la « mère des guerres », à la
guerre de Troie. Trois créations de Guy Cassiers avec
le Toneelhuis d’Anvers. Trois moments singuliers et
secouants, qui catapultaient dans des univers
sauvages, où la frontière entre folie et conscience
avait disparu, où les corps vivants des acteurs se
fondaient dans leur propre reflet, dans des images
instables, mouvantes, trompeuses, éblouissantes…
Wolfskers et Atropa sont le nom flamand et grec de
la belladone, Mefisto est un démon quasi universel…
Guy Cassiers, convié de nouveau par le Festival
d'Automne et par le Théâtre de la Ville, revient à
Paris présenter l'adaptation, avec Josse de Pauw, du
livre de Malcolm Lowry Sous le volcan. Car s’il
monte parfois des textes directement écrits pour la
scène (Angels in America, de Tony Kushner, lui a valu
plusieurs prix en 1996), il aime à se plonger dans la
littérature, notamment chez Marguerite Duras
(Hiroshima mon amour, 1996), Dylan Thomas (Au bois lacté en 1997) Tolstoï (Anna Karenine 1997) et
même Proust, créant un cycle sur la Recherche du temps perdu qui avait marqué les années 2002-2004.
Pour lui, une pièce offre un monde clos, où tout est
dit. En revanche, le roman provoque son
imagination, lui donne un espace à faire vivre. Et
puis il aime le « langage littéraire ». Qu’il adapte
Proust ou Malcolm Lowry, il s’attache à en respecter
l’écriture.
Sous le volcan raconte la descente aux enfers d’un
ex-consul américain alcoolique, de plus en plus
prisonnier de son monde halluciné. Tout se passe en
un seul jour, le 2 novembre, jour des morts donc, et
grande fête macabre à Mexico. En 1938, année qui
annonce la fin de la guerre d’Espagne avec la
victoire du général Franco, et l’amorce de la
seconde guerre mondiale, déjà présente dans
Mefisto for ever, Wolfskers et Hiroshima mon amour…
-« J’ai souvent basé mon travail sur des conflits
mondiaux, qui de toute évidence fournissent un
cadre à l’intérieur duquel on peut analyser le
pouvoir. Les guerres intensifient les choix éthiques,
les réactions psychologiques, émotionnelles. Chez
Malcolm Lowry, pour le dire simplement, nous
sommes dans le moment juste avant l’explosion du
volcan. Tout semble encore possible, mais déjà la
ruine s’annonce. Peut-être vivons-nous aujourd’hui
un moment pareil ».
Un moment, au sens premier « déboussolant ». Les
personnages ne savent plus exactement où ils sont.
On cite à tout propos la « perte des repères », mais
le malaise ici est plus profond. C’est tout juste si ces
hommes se reconnaissent eux-mêmes. Le grand
acteur trompé par son orgueil et manipulé par les
gens de pouvoir (Mefisto for ever) les dictateurs
déchus et inconscients (Wolfskers) l’Agamemnon
qui refuse de savoir sa guerre perdue (Atropa. La vengeance de la paix), l’ex consul qui pense pouvoir
encore aimer… Ils se ressemblent : des individus en
pleine déroute, « seuls dans leur enfer ».
-« Ils touchent les extrêmes de l’expérience humaine
– morale, émotionnelle, psychique, spirituelle. Ils
ont à jamais franchi ces frontières. Je me suis
souvent intéressé à ces êtres que les psychologues
et sociologues s’accordent à définir comme
« déviants ». C’est à partir de ces comportements,
dans toute leur complexité, que se construisent,
concrètement autant que moralement, mes
spectacles, car ils s’attachent à des mondes
intérieurs. La scène devient alors une sorte de
paysage intime dans lequel le « héros » se promène,
se perd entre ses souvenirs, ses chimères, ses
cauchemars, ses désirs, ses peurs, ses espoirs…
« À partir de là, je tente d’aborder les diverses
composantes de leurs comportements, de façon
autonome. En utilisant tout ce que peuvent
apporter les techniques d’un côté, et de l’autre la
puissance des comédiens. Ce que montre l’image, la
parole n’a plus à l’exprimer. L’émotion qu’offre la
musique, l’acteur peut se passer de la traduire. Ce
qu’il évoque de par les mots, la projection vidéo n’a
plus à le représenter. Je ne me considère pas comme
un metteur en scène de textes. Je monte des
éléments visuels et auditifs. J’essaie de donner aux
spectateurs un maximum d’informations
sensorielles. Reste ensuite à chacun de traiter ces
éléments, paroles, images, sons, projections, corps,
jusqu’à en obtenir un tout, cohérent ou non, mais
qui n’appartiendrait qu’à soi ».
Colette Godard
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