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ONE SONG - Histoire(s) du théâtre IV

+ d'infos sur le texte de Miet Warlop
mise en scène Miet Warlop

: Entretien avec Miet Warlop

Propos recueillis par Moïra Dalant

Vous êtes la quatrième artiste à vous essayer à l’exercice de témoigner de votre Histoire(s) du théâtre.


Miet Warlop : Le NTGent m’a donné comme « mission » de raconter mon histoire du théâtre, à la suite de Milo Rau, Faustin Linyekula et Angélica Liddell. C’est un projet à l’image d’une longue conversation qui se déroulerait d’un artiste à l’autre. Les réponses que chacun apporte sont extrêmement diverses et personnelles. Et cela génère un spectre de pistes, de possibles mais aussi de ruptures et de fractures très larges. Au sein de ces histoires de théâtre, nous parlons de comment certains événements qui ont bouleversé nos vies personnelles s’infusent de fait dans notre travail artistique. Il n’est jamais totalement possible de savoir ce qui va émerger au cours de la création d’une pièce. Dans mon cas, mon travail part d’une approche visuelle. Je donne une importance particulière aux objets, à l’absurde, à l’humour et au rire. Même si je suis derrière ce processus, et qu’à certaines étapes de nos vies il est difficile de dissocier l’œuvre de l’artiste, mon objectif n’est pas de parler purement et simplement de moi. Il est évident que nos réflexions et désirs au moment du temps de création se verront probablement transformés. Nous ne pouvons jamais être sûrs de ce que nous créons, de ce que nous ressentirons avant, pendant et après et encore moins de ce qu’autrui recevra...
Ma première pièce, De Sportband/Afgetrainde Klanken créée en 2005 est un requiem pour mon frère. Elle associe le sport et la musique. La pratique sportive comme aboutissement suprême du mouvement et de la musique en tant qu’apogée des sons et des bruits. Les efforts fournis par les performeurs sur le plateau étaient une illustration de l’existence, des vagues d’énergie propulsées par nos respirations individuelles et collectives... et ce jusqu’à un épuisement inéluctable. La douleur, le deuil étaient si présents que j’ai ressenti le besoin de créer un requiem, mais aujourd’hui, il s’agit d’un souvenir plus paisible. Regarder la pièce peut même procurer de la joie. Dans Histoire(s) du théâtre IV : ONE SONG, j’explore l’idée que ma pratique artistique est cyclique, qu’elle est un processus en cours, une recherche vivante qui devient elle- même un personnage. Ce monde que j’ai construit et qui se construit encore est un personnage à lui tout seul. Il est capable de se retourner, de manière nostalgique ou non, sur les événements passés, voire de méditer sur ce passé. J’aime que les traces du passé soit visibles dans le travail au présent. C’est pourquoi la métaphore utilisée dans De Sportband comme requiem pour mon frère, peut se lire en palimpseste dans ONE SONG. Entre ces deux moments de ma vie d’artiste, il y a mes vingt ans de pratique artistique et d’expériences personnelles. Ils sont évidemment présents dans cette pièce qui se donne à voir comme la répétition de cycles, une certaine histoire du théâtre...


ONE SONG raconte une transformation par la répétition...


ONE SONG est la multiple répétition d’une et même chanson. La pièce invoque un long mouvement circulaire, un mouvement présent dans toutes mes pièces à différentes échelles. C’est une pièce métaphorique sur toutes les choses que je veux célébrer : célébrer la vie, célébrer la pratique artistique, célébrer les rencontres, célébrer le collectif. Mais même s’il s’agit de mon histoire de théâtre, je souhaite la proposer à travers l’histoire du collectif. Avec ONE SONG, je veux montrer un groupe dans lequel personne n’émerge seul, tous les rôles sont partagés de façon équitable. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je ne chante pas. Je me place au contraire à l’intérieur du groupe, presque indifférenciée des autres. Mon travail de ces dernières années raconte cet effort collectif de partage, dans des moments de joie et des moments plus difficiles. Par l’humour et l’association d’images, je tente de matérialiser ces émotions pour les « abstractiser ». ONE SONG raconte tout cela à la fois : la répétition et la circularité, l’esprit de collectif, la diversité, l’humour et l’épuisement. C’est la transmission de la joie, d’une chaleur et d’un plaisir commun qui se partagent, dans l’instant de l’effort.


Pouvez-vous revenir sur la notion d’effort présente et visible au plateau ?


Bien que la pièce mette en scène un dispositif de tribunes de sport, je ne voulais pas travailler avec des sportifs. Les musiciens, par exemple, font eux-mêmes des virtuosités de sportifs... Ce qui m’intéresse est plus la sensibilité de gens qui performent que leur virtuosité. Je les invite à faire de nouvelles expériences sur scène, à déplacer leurs pratiques. L’idée est de vivre un véritable effort ensemble. Mais cet effort doit chercher du côté du sensible plus que du côté de la technicité. C’est ainsi que la violoniste se retrouve sur une poutre, telle une gymnaste. Elle cherche un nouvel équilibre dans une situation qui la déplace vis-à-vis de ses habitudes. Ce que j’essaie de questionner ainsi c’est notre besoin profond de nous exprimer et de communiquer. C’est une métaphore : l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons assez souvent est un jeu de (dés)équilibre entre la volonté de comprendre et l’envie d’être compris.


Vous racontez également une certaine histoire du collectif.


Le décor est un club de sport où un groupe de musique a installé ses instruments pour faire un concert. À l’instar d’un gymnase, il y a des matelas au sol, une petite tribune qui joue le rôle d’une sculpture sociale. D’un côté, le public assis qui vocifère sa joie mais aussi sa désapprobation et en face, des musiciens qui performent. Parmi les membres de ce petit public se tient le commentateur sportif qui analyse le match/concert. Il y a donc plusieurs groupes en présence. ONE SONG raconte les passages d’énergie de l’un à l’autre de plusieurs manières. Il y a le groupe de cinq musiciens qui crée, joue et chante la chanson tout en offrant une performance physique, il y a la pom-pom girl qui va offrir son énergie en soutien aux membres du groupe de musique et au commentateur, mais que personne n’encourage en retour. Elle donne tout d’elle sans rien recevoir. Les gens dans les tribunes sont des voyeurs qui incitent les sportifs/artistes à repousser leurs limites parfois jusqu’à l’extrême sans être jamais satisfaits. Le commentateur se fait le porte-parole de tout ce que nous pensons mais ne pouvons pas dire. Les affres des désirs humains sont montrées comme s’ils avaient subi une dissection anatomique. Le plateau de ONE SONG est une société en miniature, où peuvent s’exorciser voire se ritualiser tous les actes et les désirs qui rythment les principes du collectif. Ce que je souhaite c’est que l’énergie qui explose sur le plateau transcende la frontière scène- salle et que le caractère exorcisant du geste ou de l’émotion répétée se retrouve projeté et partagé parmi les spectateurs.


  • Propos recueillis par Moïra Dalant
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