theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Norway.Today »

Norway.Today

+ d'infos sur le texte de Igor Bauersima traduit par Réjane Dreifuss
mise en scène Hauke Lanz

: Entretien

RENCONTRE AVEC HAUKE LANZ


Avec Marc Moreigne, Hauke Lanz a relu la traduction de Réjane Dreifuss et livre ici sa version pour la scène. D’origine allemande, il vit à Paris et travaille régulièrement en France (entre autres, il crée Anticlimax de Werner Schwab à la MC 93 de Bobigny en 2002, et en 2004, Erotica Asphyxia pour le Festival Friction au Théâtre Dijon-Bourgogne). En Belgique, il vient de présenter, au Grand Manège, à Namur, Disparitions, un texte de Sophie Calle. C’était la première réalisation de la Compagnie En compagnie des loups qu’il a créée en 2004 avec Sarah Antoine.


T.N. : Tout commence par le projet de suicide de Juliette. Est-ce que c’est le sujet de Norway.today ?


H.L. : Il me semble que Bausersima, à travers le thème du suicide, a plutôt écrit une pièce sur la vitalité. Bien sûr c’est la peur de mourir, l’approche supposée de ce moment réel du passage à l’acte qui créent, chez Juliette et Auguste, cette vitalité extraordinaire. Elle traverse toute la pièce tant dans l’affrontement que dans la rencontre sensible et amoureuse, dans le désir de se trouver. Juliette et Auguste vivent tout comme si c’était la dernière fois. Bien sûr, nous ne vivons presque jamais avec cette intensité dans le quotidien parce que le fait que nous devions tous mourir un jour est une énigme que nous refoulons. Mais parfois, il faudrait peut-être aller dans cette Norvège imaginaire pour réveiller en nous la sensation aiguë d’être en vie. Bien sûr la thématique du suicide parcourt la pièce tel un fil rouge mais le véritable enjeu me semble plutôt la quête du sens. Et du point de vue dramaturgique, cette dynamique, c’est aussi ce qui donne la tension à la pièce.


T.N. : Ce n’est peut-être pas tant d’un voyage en Norvège qu’il s’agit…


H.L. : C’est surtout un voyage en quête de soi, à la rencontre du réel. Au début, ils ont, aussi parce qu’ils sont très jeunes, une idée très pure du monde. Mais le monde est impur et il faut composer avec la matière… disons jetable, les grandes idées mais aussi ce qui est « en bas ». Tout commence dans l’espace virtuel du net, or, - et c’est ce qui le rend à la fois fascinant et dangereux -, le virtuel permet de rester dans l’absolu, l’imaginaire, le fantasme. Il n’y a pas de limites. Un peu plus tard, dans la nature immaculée de la Norvège, dans ce décor qui pourrait faire penser aux visions du peintre romantique Casper David Friedrich, on est aux antipodes de la société matérialiste qui génère une sorte de routine à laquelle échappent encore par leur essence les phénomènes de la nature, l’amour et la mort. C’est le décor «extra-ordinaire» choisi par Juliette pour y mettre en scène la mort qu’elle idéalise tant. Quand elle parle du film culte La fureur de vivre avec James Dean, elle idéalise l'actrice Nathalie Wood qui s’est suicidée en se noyant, se projette dans l’au-delà et embarque Auguste dans son « cinéma ».


T.N. : C’est une pièce sur la transformation ?


Chaque fois que quelque chose d’eux-mêmes meurt, quelque chose naît. Pour moi, c’est un processus de changement. Des morts, des chutes, -symboliques-, ont lieu pendant leur trajet vers et à travers la Norvège, leur trajet de la virtualité à la réalité. Il y a pour chacun, la réalité de l’autre…Ensuite, les expériences les transforment : les étapes vers l’amour qui sont comme des rituels préparatoires, les enregistrements successifs de messages d’adieu dont ils ne sont pas satisfaits. Ils essaient tout : le dire de façon émotionnelle, provocatrice, punk et brève, de manière amicale et sincère, mais c’est quoi la sincérité ? Ils n’arrivent pas à trouver les mots justes pour parler d’eux-mêmes et de ce qu’ils ressentent. Au lieu de se jeter dans le vide, ils tombent dans les « trous » de leurs discours et ainsi s’approchent d’eux-mêmes… Ils se rendent compte que le faux, le « fake » dont parlait Auguste, ça n’existe pas, qu’il faut accepter toutes ses facettes, y compris celles qu’on aime le moins, celles qu’on voudrait cacher : tout compte. Leur vision du monde change. Ils peuvent accepter d’entrer dans le monde tel qu’il est, un monde imparfait dans lequel on ne peut que tenter d'être "vrai" et de livrer une parole qui résonne avec soi-même.


Cette expérience de l’impuissance, Juliette et Auguste ne la vivent pas que sur le plan de l’insuffisance des mots. Juliette et Auguste sont dans une situation qui les dépasse complètement. Un pas de plus, la fraction de seconde qu’il faut pour une décision ou un accident, et tout bascule. C’est ce contraste entre leur fragilité et leurs rêves qui les rend si touchants et humains. Nous pouvons nous identifier avec eux, parce que nos rêves les plus fous sont eux aussi tellement décalés par rapport à ce que nous vivons. Sinon la vie serait sans doute un rêve. Ce décalage s’exprime déjà dans leurs noms : deux mois d’été, juillet et août, perdus dans l’hostilité hivernale…Quel contraste aussi entre ce paysage gigantesque digne du romantisme le plus noir et ces enfants très « cools » baignés de culture pop !


T.N. : Ces personnages en quête d’authenticité, c’est tout le paradoxe du travail de l’acteur qui est épinglé…et ce n’est pas la seule allusion de Bauersima au théâtre


Non, par exemple le choix de débuter la pièce sur le Net, un espace virtuel, mais public par définition dresse un parallèle intéressant mais ironique avec le théâtre, espace public lui aussi, mais où la présence des êtres est bien réelle. Plus loin, Auguste évoque l’essence même du théâtre quand il dit, parlant de l’acte amoureux, « On pourrait aussi se l’imaginer plus précisément ». Le théâtre c’est ça : l’acte réel, faire l’amour, mourir, ne peut être qu’évoqué, désiré, joué. Mettre en scène, c’est répondre à cette impossibilité, utiliser les règles du jeu du théâtre pour créer des associations, des évocations, des représentations qui se démultiplient et libèrent l’imaginaire du spectateur. Le théâtre comme je l’entends, c’est un écran sur lequel le spectateur peut projeter. Et quand les portes de l’imaginaire s’ouvrent ainsi, c’est presque l’inconscient peuplé de fantasmes et de pulsions qui se met à dialoguer avec la scène et les signes qu’elle envoie. Le théâtre est une véritable expérience, tant pour le spectateur que pour les artistes… Sur cette aire de jeu là, on prolonge quelque chose de l’enfance, de la liberté déchaînée et créatrice de l’enfance.


T.N. : Cette liberté de créer, tu la vois comme une réponse à la question du sens, celle finalement que se posent Juliette et Auguste ?


Tout à fait. Etre dans l’absolu est toujours dangereux, pour soi-même d’abord. Pourtant, l’utopie, l’absolu, c’est quelque chose avec quoi nous flirtons tous parce qu’avoir un idéal, ça aide à donner un sens. Chacun ne peut le trouver que pour soi-même. Pour moi par exemple l’art est un remède au problème du sens. Dans cette dimension créative, je peux dicter les règles, mener le bal, ne pas uniquement subir la vie. Je crois que chacun, artiste ou pas, peut être créateur de sa propre vie, mais ni le défoulement, ni le mur ou l’état gris de la dépression ne sont le chemin. Il faut se relier à ses émotions, laisser monter en nous la peur, la tristesse. L’absolu, dans la vie réelle, c’est le cas le plus extrême, c’est ce qui est hors limites : l’inceste, le meurtre, la mort, le suicide. L’absolu peut être mortifère. Dans l’art, nous pouvons flirter avec ces extrêmes-là parce que c’est sans danger pour nous ou pour autrui. Juliette et Auguste ne sont que des personnages, il y a une dimension imaginaire. Bien plus, il y a une dimension cathartique qui nous permet de vivre les choses symboliquement, rituellement, émotionnellement, sans devoir les vivre vraiment.


T.N.: Comment a évolué le travail avec Sarah Antoine et Laurent Caron sur le plateau ?


Le premier matériau de travail a été cette langue, celle de la littérature pop, une langue qui, il n’y a pas si longtemps n’était même pas considérée comme de la littérature. Elle est intéressante à explorer avec les acteurs : il s’agit de trouver un ton proche de celui des comédiens dans la vie, de partir de soi pour faire de l’art. Mais on est au théâtre : tout est fabriqué même le plus « authentique »…
Le travail sur le mode du studio au National nous a permis un vrai laboratoire de théâtre en deux temps. Plusieurs semaines de répétitions l’hiver dernier ont débouché sur la présentation d’une première phase de la mise en scène à un public restreint. Ensuite, nous avons pu laisser mûrir. La deuxième étape est passionnante : on prend des libertés nouvelles par rapport au texte et aux didascalies, on regarde la matière sous davantage d’angles différents. Nous choisissons des attaques plus abstraites, plus formelles, moins littérales ou illustratives, tout en préservant la charge émotionnelle du premier travail. La mise en scène devient une partition qui est parfois en contrepoint de ce qui se dit dans le texte. L’essentiel est de trouver la résonance entre les mots et ce qui se passe sur le plateau. Dans Norway.today, il ne s’agit pas d’illustrer, il faut réfléchir à la symbolique, ouvrir le sens, comme nous l’avons fait, par exemple pour l’espace. Impossible de représenter la falaise de 600 mètres : le grand plongeoir, lui est non seulement un espace de jeu, mais aussi une référence pour tout le monde (on sait tous ce que ça fait d’être là-haut et de se demander si on va oser sauter ou pas), et puis l’idée de sauter se double de celle de plonger. Sauter à l’eau. Ce plongeoir est nouveau : dans la première étape du travail, les deux acteurs restaient en permanence sur une grande plate-forme, suspendue à quelques mètres du sol. Nous avons aussi beaucoup cherché la place du « troisième acteur » en quelque sorte, cette caméra et son écran qui permet de revoir les prises. Elle opère de troublantes mises à distances, sa médiatisation protège parfois et à d’autres moments amplifie et projette dans l’espace un peu de ce qui est normalement caché : l’intime. Le travail avec les acteurs Sarah Antoine et Laurent Caron, mettre en scène, c’est aussi toucher ce qui dépasse les mots…

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.