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+ d'infos sur le texte de Joël Maillard
mise en scène Joël Maillard

: Mise en scène

SCÉNOGRAPHIE


Il n’y a pas de division scène-salle. Il n’y a pas de scène.


Les sièges, de simples chaises en bois, sont disposés en un cercle d’un diamètre de 6 à 10 mètres, ce qui permet une jauge de 30 à 50 spectateurs. Il s’agit donc d’un cercle de parole.


Le cercle évoque une notion d’égalité, partie intégrante de la proposition fictionnelle : dans cette réunion, n’importe qui pourrait prendre la parole. Mais il induit aussi la surveillance de tous par tous. Au cours de la représentation, on se rapproche d’une ambiance qui évoque plutôt une sorte de rituel, de cérémonie. D’une certaine façon, ce cercle a quelque chose de vicieux.


Au fond de la salle, une table est recouverte de fruits, dont on ne saurait dire s’ils sont là pour la déco ou pour qu’on les mange.


En 2012, la création a eu lieu dans un cinéma désaffecté, l’Eldorado, qui était une sorte de décor naturel. Un lieu vidé de sa fonction première, qui lui aussi s’était tu. Le texte était en quelque sorte renforcé par le devenir-ruine et la désolation de l’espace où il était entendu. Je postule, évidemment, que la pièce résiste à l’abandon de son écrin originel.


À Sierre, nous installerons le cercle sur le plateau, retirerons les chaises du gradin, et enlèverons la totalité des pendrillons pour retrouver les murs et les poutres métalliques de cette ancienne usine. Nous chercherons à donner à l’espace un aspect provisoire, non fini, trop grand.


À la Chaux-de-Fonds, nous retrouverons un peu le charme désolé de l’Eldorado, tant l’usure du Temple Allemand est apparente. Avant, dans cet espace, des gens s’adressaient à un dieu, aujourd’hui la dévotion et son objet s’y sont absentés.


À Genève par contre, la situation est toute différente ! Nous serons au 7e étage de Saint- Gervais. Dans un espace réduit, bas de plafond, a priori sans grand charme, et sans fonction antérieure reconnaissable.
Il faudra donc agir sur l’espace beaucoup plus qu’ailleurs, et inverser la démarche : plutôt que de jouer avec la nudité du lieu, le fictionnaliser en l’habillant avec une moquette, des rideaux translucides, quelques éléments végétaux, des éléments de décoration.


Puisqu’on ne peut pas faire comme si le 7e était un grand espace, nous en accentuerons l’intimité : l’idée est de le transformer en une sorte de salon. Mais un salon qui pose des petits problèmes de cohérence esthétique. Il y a des fautes de goût, des anomalies, si bien qu’on n’arrive pas bien à saisir dans quel état d’esprit a été aménagé cet endroit.


BASCULEMENT


Durant les premières 20 minutes, il y a seulement l’actrice qui parle, très simplement. Aucune diffusion de son, pas de vidéo, ni d’effet lumière. Cela laisse à penser que cette forme plutôt pauvre, sans autre événement que les mots, les silences, les bruits provenant de l’extérieur de la salle, ne variera pas jusqu’à la fin.


Mais il y a un lent basculement. Un long fondu-enchaîné, vers une toute autre ambiance, plus spectaculaire. Lorsqu’on se rend compte que quelque chose a changé, on remarque aussi qu’on ne sait pas depuis quand cela a changé. On n’est pas au même endroit au début et à la fin, comme si c’était deux pièces, deux lieux, différents. On est toujours dans la même réunion de parole, mais tout ce qu’on perçoit est comme altéré.


Ainsi, à la fin :
Le cercle est plongé dans la pénombre.
Mona a disparu, mais on entend sa voix.
Des murs semblent vibrer.
Rolf étale au centre du cercle les ébauches des ses projets non-réalisés, formant une sorte de labyrinthe (voir p. 7), puis il disparait lui-aussi, et il ne reste plus que du son.
La masse sonore prend de l’ampleur jusqu’à devenir presque assourdissante.


Cette lente progression vers une autre forme résonne avec la progression du mutisme de Rolf, qui est entré dans un autre monde, à la fois similaire et totalement différent du notre. Comment entend-on lorsqu’on est soi-même silencieux ? Comment regarde-t-on ses semblables lorsqu’on ne peut plus communiquer avec eux ?


Les troubles perceptifs produits par la lumière, la vidéo et le son visent donc à inviter, d’une certaine manière, les spectateurs dans la tête du personnage.


LUMIÈRE


L’éclairage est discret, et les changements d’ambiance sont lents. Un élément important est la présence d’appliques (ou de lampes sur pied ou d’abat-jours) dont les ampoules sont soumises à des oscillations en chaîne, provoquant un léger, mais permanent, déséquilibre de l’espace, qui agit dans la deuxième moitié de la pièce.


VIDÉO


Elle intervient dans les 10 dernières minutes. Le principe est plutôt simple, bien que délicat à réaliser :
On fait une photographie d’un mur comprenant des structures (lignes, poutres, fissures, etc). On projette ensuite cette image "sur elle-même". Dans un premier temps la projection ne se perçoit pas, puis on lui applique une très légère vibration, et c’est comme si le mur bougeait.
Puis la vibration prend de l’ampleur et son mouvement se complexifie.
Comme le public est en cercle, ce sont 2 murs qui sont ainsi traités.


SON


Le son joue un rôle important dans la mise en scène.
Nous commençons par enregistrer des événements sonores propres au lieu et à son entourage. Des sons qu’on peut entendre lorsqu’on est dans la salle, par exemple une ventilation, un écoulement, des voix à l’extérieur, de la circulation, etc.
Ces sons sont ensuite montés, et interviennent discrètement, 20 minutes après le début de la pièce. On croit parfois avoir entendu un bruit parasite alors que c’est la bande-son, ou l’inverse.
Les sources sont, autant que possible, indirectes. Des haut-parleurs sont placés à l’extérieur, dans les couloirs, les locaux annexes, les cages d’escalier, les armoires (à Saint-Gervais), les galeries, le foyer, etc. Ainsi, la salle devient comme encerclée par ces sons provenant du dehors. En effet, les interventions deviennent peu à peu moins discrètes. Durant les 10 dernières minutes, les sons sont transformés, déformés, et le volume augmente, beaucoup.
Hormis l’enregistrement et la sélection des sons, toutes les opérations ont lieu en direct, en lien avec ce qui se passe dans, et hors de la salle.


JEU


Nous avons travaillé avec la personnalité même de Joëlle, son parler, son humour, tout en introduisant des petites absences, des sauts de comportement qui sont propres à Mona.
Le dispositif particulier implique qu’elle soit en lien réel avec le public, ceux qui sont présents ce soir-là. Il n’y a pas de noir-salle pour la protéger. Aussi avons-nous travaillé sur l’établissement d’une certaine connivence avec le public.
Ce dont Mona parle n’est pas exactement joyeux, mais on a par moment l’impression que tout l’amuse, à commencer par le fait d’être ici et de prendre la parole devant ces gens-là.
Il y a une certaine forme d’insouciance chez cette femme. Il y a aussi de la noirceur. Elle souffre sans doute de sa situation, mais elle n’en parle pas, ou très peu. Elle ne dit d’ailleurs pas qui elle est. Comme le texte, le jeu doit comporter des trous.
La musicalité du texte, les sonorités du sens, ne font pas partie de mes préoccupations pour ce projet, mais je suis attaché à une certaine précision rythmique à l’intérieur des phrases.


Durant le premier tiers de la pièce, on ne sait pas qui est Rolf. En réalité tout semble indiquer qu’elle parle d’un homme absent, jusqu’à ce qu’elle le désigne. Jean-Nicolas a pour consigne de passer le plus inaperçu possible dans un premier temps. Puis petit à petit il bouge, à l’intérieur, tentant d’appréhender l’espace, le temps, les sons, depuis un ailleurs. Lorsqu’il est désigné par Mona, il peut, par moment, soutenir le regard d’un spectateur. Mais plus la pièce avance, plus il se raidit. Après tout, on pourrait imaginer que Rolf profite de cette soirée pour reprendre la parole, et c’est avec cette possibilité que Jean-Nicolas joue. Mais cette possibilité n’advient pas.

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