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Macbeth

+ d'infos sur le texte de Heiner Müller traduit par Jean-Pierre Morel
mise en scène Jean-Claude Berutti

: Éléments dramaturgiques

Macbeth de Heiner Müller. Destin et responsabilité.

Dans la tragédie « classique » (Les Grecs, Shakespeare) on a toujours l’impression que le destin (les Dieux, la Roue de la Fortune, la Grande Machinerie du Pouvoir) est tellement fort, qu’on ne peut imputer aux héros l’entière responsabilité de leurs actes. Toutes sortes d’ordures célestes (des Dieux et des Déesses, des Sorcières, des Forces du Bien et du Mal…) s’en sont trop mêlé. Les héros sont poussés, ils se voient contraints à suivre les événements. Ils en profitent, le temps de l’heure de gloire, certes, mais quand le moment de la chute arrive, il leur reste toujours une marge d’innocence, un brin de revendication d’être victimes. Il leur reste, au moins, l’issue de la purification.
Dans la version de Macbeth de Heiner Müller, le destin joue plus que jamais son rôle de broyeur aveugle, mais les héros (plutôt les « héros » entre guillemets) sont rendus irrémédiablement responsables de leurs actes. Macbeth n’est plus le jouet d’un destin qui le dépasse. D’emblée il s’empare de l’ambition que suscitent en lui les Sorcières. Malgré ses doutes et ses remords, il prend les choses en main, cynique et responsable. Lady Macbeth soutient son mari, et partage son ambition comme chez Shakespeare, mais comme Macbeth est plus sûr de lui, et a moins besoin d’une guide glaciale, la tragédie devient aussi la tragédie d’une femme qui voit, lucidement, son couple périr dans l’ambition de son mari. Ils s’aiment profondément, ils partagent le pire et le meilleur, ils périront les yeux ouverts.
Cette responsabilité accrue des personnages donne à la pièce de Müller une dimension beaucoup plus politique, plus sociale que chez Shakespeare. Le peuple, les soldats, les paysans sont très présents, dans leur condition de victimes des excès des « grands ». Alors que chez Shakespeare « les bons nobles », « les bons rois » existent, chez Müller aucun de ces grands ne peut compter sur sa sympathie : ils sont, eux aussi, entièrement responsables de leurs actes, de leur cruauté. Responsabilité partagée par tout le monde, d’ailleurs, parce que le peuple a beau être victime, il n’en est pas pour autant innocent… Müller accentue, à partir de la responsabilité de ses héros, la cruauté shakespearienne. Il nous raconte un monde sans pitié, un monde de trahison, de mutilations et de torture, un monde sans amis, sans aucun respect, même pas pour les morts. Là, il vaut mieux se pendre soi-même que d’être victime de tous les rois, de toutes les armées. Là, peu importe qui gouverne, qui succède à qui : le nouveau jeune roi n’aura rien à dire.
Comble de cynisme que celui des Sorcières. Macbeth ne pourra même pas faire confiance à leur prédiction : celui « qui n’est pas né d’une mère » n’est pas un adversaire qui l’affronte d’homme à homme – c’est juste une bande aveugle de soldats sans noms. Les Prêtresses du Destin, elles, se débinent bien de leur responsabilité.

Yves Bombay, dramaturge et chef de troupe de La Comédie de Saint-Étienne

novembre 2009

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