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Loin du bal

+ d'infos sur le texte de Valérie Poirier
mise en scène Martine Paschoud

: Propos de Claude Champion,

cinéaste et président de la Société Suisse des Auteurs (SSA)

RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE


C’est l’activité humaine qui le provoque, n’est-ce pas ? Et c’est néfaste : la banquise fond, des ours blancs se noient, les pingouins sont déboussolés, le gulf stream nous abandonne. Est-ce de cela que nous parle la pièce de Valérie Poirier ? Pas du tout. N’ayez pas peur, ce n’est pas un texte militant, quoique… Parler des vieux, en faisant rire avec tendresse et nostalgie à la fois, c’est tout de même nous parler à côté du flux des faits divers catastrophistes, branchouilles et people.


« Loin du Bal », quelle jolie expression pour marquer la distance des « has been » avec un temps qui n’est plus le leur et suggérer nettement le coup de balai que ceux qui suivent envisagent, sans état d’âme et sans vraiment avoir conscience du suivant, qui sera pour eux. Elle évoque aussi bien sûr la mise au rancart en EMS, institution moderne, inévitable, proliférante et par définition sinistre, sorte de nouvel enfer dantesque où toutefois tout un chacun, même curieux, rechigne à descendre sans vraiment y être obligé.


Je vais solliciter aussi le réchauffement climatique pour fustiger cette entropie de la normalisation galopante qui nous « pingouinise » inéluctablement. Mais sans doute faut-il être vraiment réduit à l’inutilité des rangés des voiturettes pour percevoir avec clarté ce conformisme social tellement sécurisant, au fond.


Donc les pingouins débarquent de leurs banquises sur nos platesbandes bien entretenues, par le seul caprice de Valérie Poirier, qui se moque des lois du climat et devrait plutôt les envoyer vers ce qui reste de glace, vers un pôle ou l’autre. Ou alors mutent-ils, ou est-ce nous qui mutons ? Les moutons mutant…That is the question !


Surtout ce qui me plaît infiniment dans ce réchauffement climatique théâtral, c’est que l’auteur, avec son texte incisif et joyeux, provoque le rassemblement sur les planches, pour un puissant tour de piste, de quelques uns de ceux qui constituèrent notre théâtre, le développèrent et lui attachèrent les qualités qui sont les siennes aujourd’hui : originalité, force, inventivité.


Voilà le paradoxe de cette intense activité théâtrale romande depuis le milieu du siècle dernier : un réchauffement climatique agréablement profitable à nos neurones, à nos zygomatiques, simplement à notre plaisir de spectateur et d’honnête homme du XXIe. Un réchauffement climatique qui n’est pas destructeur et source d’inquiétude, mais source de satisfactions sans cesse renouvelées. Et les Erika Denzler, Jane Friederich, Monique Mani, Martine Paschoud, Jean-Charles Fontana, Maurice Aufair font ainsi corps, au-delà de leurs personnages respectifs, pour nous rappeler à l’évidence que c’est à eux (et à d’autres aussi bien sûr des mêmes générations) que nous devons la richesse et les exigences de la scène théâtrale à Lausanne et à Genève, scène qui a acquis en un demi-siècle une notoriété internationale.


Au sortir de la deuxième guerre mondiale, sur l’arc lémanique, il n’y a, peu ou prou, pas de théâtre, ou tout au moins pas de création théâtrale régulière, aucun milieu théâtral significatif. Aujourd’hui, les salles et les propositions de spectacles scéniques foisonnent de Lausanne à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds, de Genève à Fribourg et à Sion: dans toute la Suisse romande la vitalité et l’excellence tant des institutions que des lieux off, des créateurs, des comédiens, des techniciens sont impressionnantes. On peut considérer que les conditions économiques des trente glorieuses y furent pour quelque chose, évidemment, que les villes, les régions, les communications se développaient et qu’immanquablement la culture et le divertissement y participaient.


Mais pour avoir vécu ces périodes, je sais bien que les bonds en avant, surtout lorsqu’ils sont qualitatifs, sont toujours initiés par des visionnaires, des pionniers, des passionnés. Et c’est ce qui eût lieu : au Théâtre Carouge-Atelier, Au Théâtre de Poche, à la Comédie de Genève, aux Faux-Nez, au Centre dramatique de Lausanne, à Kléber-Méleau, au Théâtre Populaire Romand en pays neuchâtelois (je ne peux les citer tous), des fous de l’aventure théâtrale, les yeux ouverts sur tout ce qui s’inventait autour d’eux, en particulier en France et en Allemagne, luttaient sans se ménager pour rallier à leur passion, bien sûr les spectateurs avides des expériences proposées, mais aussi les instances politiques qui, on le sait bien, sont caractérisées chez nous sur le plan culturel par un certain volant d’inertie. Aujourd’hui il n’y a pas de doute, le pari est gagné (mais certainement pas la guerre, comme disait l’autre)!


« Loin du Bal » nous accueille dans un pays où tout est vieux et par conséquent au premier chef les comédiens, vieux parce qu’ils ont beaucoup vécu et beaucoup donné. Vieux, ils méritent nos ovations parce que nous leur devons tout (ou presque tout) !


Allez les pingouins : la claque !

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