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Loin du bal

+ d'infos sur le texte de Valérie Poirier
mise en scène Martine Paschoud

: Portrait d'artiste

par Julien Lambert, juin 2008

Jean-Charles Fontana s’identifie étrangement avec le vieil homme impertinent qu’il interprétera dans Loin du bal de Valérie Poirier. L’univers glauque de l’EMS (Établissement Médico Social) n’affecte en rien le coeur de rocker du personnage, comme les rôles qui passent et ne se ressemblent pas pour le comédien. Discussion de terrasse, en piochant dans un cartable bourré de souvenirs.


J’ai septante ans et je n’ai jamais arrêté de jouer. C’est une religion pour moi. Ce que ça veut dire ? Que je suis à la messe tous les jours. Le théâtre me transporte.


Jean-Charles Fontana, cheveux blonds platine, n’est pas venu sur cette terrasse du Bourg-de-Four pour parler de lui, mais de théâtre. De ces centaines de « lui » qu’il a incarnés et qu’il présente avec un petit rire mutin, en extirpant photos et affiches d’un grand cartable à dessin. Les répliques s’y associent encore automatiquement.


Dans le Misanthrope avec Jean Piat, je joue Acaste qui dit : « voilà votre paquet Monsieur ». Et dans ce Labiche avec Vachoux je jouais un sud-Américain qui arrive sur un cheval et dit en montant sur la table : « yai yamais vou oun cavallo dans oun saloon ».


Fontana évoque plus que le souvenir nostalgique d’une époque où le comédien pouvait vivre « sans carnet de chômage » et enchaîner en une soirée une pièce à la Comédie et la Revue, dans laquelle il a joué pendant dix ans. Cette floraison débridée de souvenirs et d’impressions, c’est la déclaration de foi kaléidoscopique d’un artiste dont la nature et la vie seraient magiquement restées en adéquation.
Essayer de le faire démêler une trajectoire personnelle parmi tous ces rôles, c’est peine perdue. Ils s’accumulent dans une insatiable orgie de théâtre et de rencontres. La modestie l’emporte, autant que l’authenticité du comédien qui préfère jouer, « être » un personnage plutôt que d’en disserter.


Je suis amoureux du théâtre. Je peux donc changer de maîtresse mille fois ! Peu importe la pièce… Mais les metteurs en scène sont bien sûr importants. Chaque fois que j’en aborde un nouveau, je considère que je ne connais rien et que je dois tout apprendre. C’est un éternel recommencement : on ne peut pas arriver avec sa valise pleine de trucs et d’intonations.


Un dévouement solidaire de la création de chacun, que les plus socialisants des metteurs en scène lui ont bien rendu.


Benno Besson avait dit qu’il aimait ma fidélité dans le travail et que j’avais l’esprit de troupe. Et Steiger aurait confessé que j’étais le comédien le plus fidèle dans le monde du théâtre. Il aurait dit des choses encore plus gentilles, mais qu’il ne fallait pas me répéter pour ne pas me faire rougir.


Au-delà des complicités artistiques, ce sont des aventures humaines que Fontana, Fonfon ou Charlie Brown suivant les intimes, a tissées avec les plus grands noms du théâtre francophone. Parmi les plus marquants : un autre mystique du théâtre, Richard Vachoux, mais aussi Bernard Bloch, Benno Besson, Hervé Loichemol, Gérard Carrat… avec un coup de coeur de jeunesse pour Jean Marais. Le comédien se rappelle encore avec un tremblement comment la Bête de scène avait accueilli le Beau jeune Fontana dans sa loge, en costume du Comte de Monte-Cristo. La lettre à en-tête de la Comédie-Française, mais surtout le charme fragile de la jeunesse aidant, voilà un des rares comédiens suisses du Conservatoire de Paris embarqué pour une tournée dans toute l’Europe avec La Machine infernale aux côtés de Jean Marais.


Il était magnifique. Il demandait qu’on soit tout le temps ensemble, pour déjeuner, dîner. On dormait avec son habilleuse dans une chambre avec porte communicante sur la sienne. Cocteau est venu nous voir et Jean Marais lui a dit : « Tu verras, c’est un ange ».


Bien que l’on se prenne parfois à hésiter en entendant Fontana faire la voix du vieux rocker, ou s’enthousiasmer pour une réplique « fabuleuse », vie et rôle restent donc deux choses différentes. À moins que l’un ne soit le prolongement fantasmé et jubilatoire de l’autre…

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