: L’approche du metteur en scène
J’ai rencontré l’écriture d’Hanokh Levin en 2003 en jouant,
puis en assistant François Rancillac sur la création de la
pièce Kroum l’Ectoplasme. Je me suis alors plongé, grâce
à la bienveillante collaboration de la traductrice Laurence
Sendrowicz, dans l’oeuvre de cet auteur. Après avoir monté
une comédie avec chansons, Popper, une comédie satirique,
Reine de la salle de bain, et un cabaret musical, Dieu dit : Que la lumière soit… et tout resta noir !, je décide aujourd’hui de
m’immerger dans l’univers d’une de ses pièces mythologiques,
Les Souffrances de Job. Le désir de monter cette pièce
est multiple, complexe et périlleux.
En pleine tournée de Popper (créé en janvier 2007 à la
Comédie de Valence, Centre dramatique national), nous
avons entrepris, avec l’équipe du Menteur volontaire, d’entamer
un cycle de lectures de toutes les pièces traduites
d’Hanokh Levin.
Mon attention s’arrêta particulièrement sur cette visitation
du mythe de Job.
« Extraordinairement… in-montable… » furent mes premières
pensées…
Fasciné par cette histoire et la manière dont Levin avait de
discuter avec le mythe, je ne décidai pas immédiatement de
la monter mais plutôt d’interroger mon désir de la mettre
en scène et de faire violence à ce garde fou de la représentation
qui me projetait sans cesse dans une épreuve de force
avec la réalité du plateau. C’est à force de relectures et de
conversations avec mes divers collaborateurs (dramaturge,
scénographe, assistante...) que j’ai pu me persuader de trouver
les raisons suffisantes et fondamentales de vouloir faire
entendre ce texte.
Extérieur / intérieur
Extérieur : monter cette pièce, c’est dialoguer avec le monde
car elle est affreusement contemporaine de ce qui se joue dans
nombre de conflits, c’est interroger un endroit de perception de
la souffrance humaine provoquée par toute forme de croyance.
Intérieur : monter
cette pièce, c’est
pour moi franchir un
pallier dans mon parcours
de metteur en
scène, monter une
pièce difficile et complexe
et m’obliger à
ne pas rester dans
le giron douillet des
comédies. M’imposer
l’inconfort d’une
pièce qui me semble être un défi à tout principe de réalité
et ne pas m’embourgeoiser dans la commodité de ce que je
peux savoir faire.
Une confrontation
Cette pièce en huit chapitres est clairement divisée en deux
parties. L’une où Levin est en totale intertextualité avec le
Livre de Job, l’autre où l’auteur se libère de la fidélité au récit
biblique pour dialoguer avec l’insensé.
Sublime qui côtoie le pathétique… ou inversement… c’est
dans cet extrême que se situe la grandeur de ce texte. Dans
une économie des mots quasi contraire à tout récit épique,
Levin reconstitue une fresque sensible et virevoltante,
une histoire magnifique, très simple à suivre, qui traite de
manière ordinaire des situations extraordinaires (c’est en
ce sens un principe totalement inversé de ses comédies, où
sous des situations banales, Levin nous parle de choses fondamentales).
Il s’agit pour moi de concevoir la mise en place du jeu, de revenir à des fondamentaux quasi- scolaires.
Unité de lieu : l’action passe du tout au rien, du sol au plafond, de l’abondance chaude et humide d’un banquet surchargé en pleine digestion à la putréfaction froide et sèche d’un corps empalé et suspendu vers le ciel. Partir d’un endroit où la vie stagne pour aller vers un autre où la mort rôde.
Unité de temps : même si rien n’est précisé, je pense que l’action se déroule en une nuit, et que ce temps lunaire n’est que la métaphore d’une vie. La force du mythe de Job se situe dans ce qu’il a d’implacable en ce sens que le temps est action.
Unité d’action : l’action de cette pièce découle avant tout de la parole. Même si on peut le penser de toute oeuvre dramatique, je crois que c’est d’autant plus implacable dans cette pièce, car chez Levin c’est la parole qui entraîne tout changement. Le verbe est une grande faucheuse qui entraîne Job vers son destin et le sépare de tout ce qui lui est cher. Le verbe est Dieu.
Le principe des trois unités est bouleversé dans cette pièce, en ce sens où tout est action. Tout est mouvement, rien n’est figé.
Cela débute par une vie trop remplie qu’on dépose dans un
immense entonnoir pour en laisser échapper, par une toute
petite extrémité, le corps d’un homme décédé.
La première tirade de Job commence par : « Qu’est-ce qu’un
homme rassasié ? » ; sa dernière tirade débute par « Qu’estce
qu’un homme
empalé ? »
Partir d’un trop plein
de vie pour aller vers
une petite mort…
Penser bien entendu
à l’orgasme et l’interroger
en plateau…
Parler du chemin d’un metteur en scène et d’une équipe qui l’entoure. Ce projet n’est pas seulement pour moi une nouvelle aventure, c’est la prolongation d’un projet artistique commun mené avec la Compagnie Le menteur volontaire. C’est le prolongement d’une identité théâtrale, défendant des valeurs communes et tentant de replacer l’acteur « au centre » de toutes préoccupations. Ce projet sera également pour moi la fermeture d’une parenthèse de vie avec Hanokh Levin.
Laurent Brethome
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