theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Les Criminels »

Les Criminels

mise en scène Richard Brunel

: Notes dramaturgiques

Extrait de Les Criminels [en scène], Editions Théâtrales

Les Criminels ou la vie et le destin des occupants d’un immeuble dont la façade serait soudain devenue transparente. Se dévoile alors l’intimité d’une microsociété hiérarchisée mais unifiée par deux centres d’intérêt : le sexe et l’argent. Derrière un vernis social qui s’écaille facilement, on découvre les mêmes médiocrités, les mêmes lâchetés. Elles conduisent à la transgression de la loi et à la criminalité, sous des formes variées : atteinte aux moeurs, vol, crime. Le spectateur a les cartes en main pour juger les responsabilités mais aussi la façon dont s’exerce la justice. Dans l’acte II, quatre procès se déroulent dans un temps fictionnel identique afin que soient mis en valeur cette fois l’identité du cérémonial en jeu et les différences dans le traitement des affaires. Le troisième acte lève enfin le rideau sur l’état de l’immeuble après ce cataclysme judiciaire. Tout a profondément changé, une nouvelle génération est propriétaire des lieux, assumant sans vergogne son pouvoir et ses valeurs. Les « criminels » les plus fragiles ont été punis, parfois injustement ; les plus cyniques construisent une société de vainqueurs qui les rend maîtres du monde comme ils le sont de l’immeuble.


Tout est plaisir pour le lecteur ou le spectateur : l’intelligence de la machine dramaturgique qui gère avec habileté le dit et le non-dit, la continuité et l’ellipse ; la construction des personnages qui montre les failles et les contradictions ; le puzzle global qui comme dans un film choral a ses vedettes et ses seconds rôles, ses histoires courtes et ses longs développements, ses jeux d’espace et de temps. Plus que jamais le monde est un théâtre et le théâtre est un monde.


Car Bruckner fait avant tout acte de théâtre. Echappant au piège d’une critique facile de la mécanique judiciaire et de ses erreurs, il évite le didactisme et met en jeu la parenté indéniable entre le tribunal et le théâtre. Ce sont tous les deux des espaces dans lesquels le discours se fait spectacle, la parole est performative, la narration subjective, la scénographie essentielle, la place des protagonistes signifiante. Le temps y a un poids particulier et l’humain y est questionné de façon urgente, philosophiquement, sociologiquement, moralement. Mettre en scène la justice, c’est renvoyer à l’essence du théâtre.


C’est aussi rappeler que tous, aujourd’hui, nous pouvons franchir la limite entre l’acceptable et l’illégal. Que deviendrons-nous alors ? L’intelligence de Bruckner est de ne pas traiter ce questionnement de façon générale, mais d’exposer des cas, comme un biologiste ou un psychologue. Certes, le spectateur se sent guidé par une instance mystérieuse qui choisit de lui présenter ce qui doit être vu et entendu. Mais émerge progressivement un autre point de vue possible. Kummerer écrit un livre de réflexion à partir de l’expérience qu’il a vécue douloureusement. La pièce s’achève par les prémisses de ce livre. Et s’impose alors une autre lecture de l’oeuvre : et si, face à des événements difficiles à comprendre ou à relier, seuls l’art et la littérature pouvaient donner des clés ? Une belle façon d’interpeller le théâtre.

Richard Brunel, metteur en scène - Catherine Ailloud-Nicolas, dramaturge

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.