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Le Théâtre de l’Amante anglaise

+ d'infos sur le texte de Marguerite Duras
mise en scène Ahmed Madani

: Le dialogue durassien

d’après Marie-Hélène Boblet

L’Amante anglaise, penche vers l’abstraction et la symbolisation : l’échange de parole, l’entretien par questions et réponses, le rôle maïeutique de l’écoute et de l’interrogation sans prérogative sont exposés dans leur quintessence. Le lieu est indéfi ni, où des voix se contentent de parler. L’essentiel demeure : un interrogateur tente de comprendre le crime inexpliqué de Claire Lannes en faisant émerger, surgir la bonne réponse si du moins, il arrive, lui, à trouver la question juste.


Marguerite Duras répète que voir ne l’intéresse pas, car le jeu distrait de la parole. A la limite, le texte n’attend ni geste, ni voix, il existe totalement en soi : « Le jeu enlève au texte, il ne lui apporte rien, c’est le contraire, il enlève de la présence au texte, de la profondeur, des muscles, du sang » (La vie matérielle).
Au terme de ce paradoxe, le modèle de la représentation théâtrale devient la lecture, adaptée à un « théâtre de pensée » ou « de parole ». Le comédien devient un acteur qui porte un texte hors du livre par la voix seule. Le scandale du jeu sur scène consisterait à déloger le drame de son vrai lieu, la parole.


Dans L’Amante anglaise, il n’y a pas d’intrigue, ni d’action, hormis celle de la parole en acte. Mais la parole est performative : elle produit un travail du sens. Les origines du dialogue durassien s’enracinent autant dans la mémoire du dialogue euristique que dans celle du dialogue dramatique. Claire et Pierre Lannes et l’interrogateur croient à la vertu de l’entretien, à « l’aubaine de parler », à la chance et au vertige de l ‘échange.
Cette félicité du dialogue dont la privation est souffrance, a maille à partir avec le désir de comprendre, mais comprendre au sens d’attraper, de saisir, sans maîtriser ; comme par effraction, hors déduction. La parole et le silence ne produiront pas d’adéquation entre les mots et la chose, une représentation et son objet, ni de vérité défi nitive, mais « une proximité sans coïncidence qui n’est pas pour autant celle d’une vérité manquée ». Irréductiblement indéfi ni et spéculatif, le texte dialogué se conçoit comme un livre ouvert, une suite de propositions qui s’ajustent, en respectant sa part d’étrangeté, à un acte ou à un sujet.


Puisque le drame de l’esprit, l’action de l’intelligence, y est au travail et en représentation, le dialogue de Duras est bon à jouer, à porter à la scène, même s’il n’a pas cette vocation initiale, non plus que le dialogue philosophique. Il présente d’ailleurs plutôt qu’il ne représente, ce que parler veut dire ou peut-être. Même si à la différence du texte de théâtre, il ne doit pas nécessairement être proféré, il fi gure le jeu de la parole et de l’écoute. Aucun réalisme de la parlure n’y est de mise, puisque c’est une force et non une forme qu’il s’agit d’évoquer.

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