: Notes de mise en scène
Un théâtre de la parole silencieuse
La pièce se présente comme une sorte d’enquête menée par un étrange
interrogateur qui n’impose aucune contrainte et offre même la possibilité
à ceux qu’il questionne de ne pas lui répondre. Pierre et Claire Lannes, les
deux protagonistes du crime, vont consentir à se livrer. S’engage alors une
passionnante quête qui, sous prétexte de mettre en lumière la vérité,
cherchera à percer le secret des âmes.
Marguerite Duras plonge ainsi le spectateur dans l’abîme sans fond de
notre matière humaine. Le théâtre n’est fait que de cette matière
mystérieuse, tourmentée, tantôt sombre, tantôt lumineuse, tantôt
misérable. Il convoque l’assemblée du peuple pour lui faire entendre
l’histoire.
Par la prodigieuse banalité du fait divers, nous voilà tous engagés sur les
chemins qui mènent à notre propre monstruosité. Ce crime ne s’avère pas
être seulement celui d’un assassin, c’est un acte partagé entre le couple et
la victime, mais aussi entre tous les habitants du village qui n’ont pas su
voir ce qui était en train de se jouer sous leurs yeux.
En mettant tous les spectateurs au premier rang, nous avons choisi d’inviter
chacun d’eux à la table des assassins. Le crime leur rendra visite comme il a
rendu visite à chacun des protagonistes.
Le rapport de proximité souhaité par l’auteur est ainsi poussé à son stade
ultime par une scénographie qui place le public et les interprètes dans un
même espace scénique. Ce lieu clos à la superficie restreinte, oblige au
contact direct et évoque tout à la fois le parloir d’une prison, l’enceinte d’un
tribunal, la cave du crime, l’hôpital psychiatrique. Il deviendra tantôt un
théâtre, tantôt une arène où les mots seront proférés comme autant de
coups de marteau à équarrir les bûches pour mettre à jour ce qui reste
d’humain dans le monstrueux.
Le théâtre de Duras se défi nit à partir d’un refus de la représentation et des
conventions dramatiques pour mieux faire émerger le drame de l’écrit en
train de se faire. Nous chercherons le point de rencontre entre ce projet et
notre désir d’incarnation de mise en voix, en chair pour que la charge
sensuelle du projet littéraire durassien, ne soit pas reléguée derrière sa
portée intellectuelle. La mise en scène orientera le jeu des acteurs vers
l’écoute intérieure et la définition d’une musicalité du texte, des mots, de la
respiration.
C’est dans une recherche de l’équilibre entre la retenue et l’exposition des
sentiments, l’immobilité et le mouvement, que ce « va-et-vient entre la vie et
la mort » trouvera sa justesse et sa puissance dramatique.
Le Théâtre de l’Amante anglaise est pour Marguerite Duras l’occasion de
mettre en scène son rapport au mystère insondable de l’écriture. Le texte
s’avère être « un os, un squelette » que les interprètes rongent avec
délectation tant la langue est dense, juste et magnifique.
Comment expliquer par des mots l’insondable de toute une vie ? Comment
parler de l’inexplicable ? Les criminels sont impuissants à se dire, ils sont
tels des écrivains incapables d’expliquer ce que met en scène leur écriture.
Dans le fond, ce crime s’apparente à une tentative pour l’assassin d’écrire le
mystère de sa vie, d’essayer de rendre visible l’invisible.
Ahmed Madani
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