Arnaud Meunier – Le Problème est une pièce que vous avez choisi de publier en Tapuscrit. Comment avez-vous rencontré l’écriture de François Bégaudeau ? Pourriez-vous retracer son itinéraire à Théâtre Ouvert ?

Lucien Attoun – La rencontre avec François Bégaudeau s’est faite par l’entremise du metteur en scène François Wastiaux, dont nous suivons le travail depuis plusieurs années. C’est tout naturellement que nous l’avons accompagné lorsqu’il s’est présenté à nous avec un nouveau projet, Entre les murs, tiré du roman.
La première version que nous avait proposée François Wastiaux nous avait paru manquer de cohérence et surtout d’équilibre. Nous l’avions invité à diriger le « retravail » dans une session de notre École Pratique des Auteurs de Théâtre, l’E.P.A.T. Cela lui a permis de confronter la matière théâtrale au plateau, avec des comédiens et en présence de François Bégaudeau^[1]. Depuis quelque temps déjà nous incitons des romanciers à aborder de front l’écriture théâtrale, comme nous l’avons fait avec François Bon ou Jacques Séréna, par exemple. Mais encore faut-il qu’il y ait chez un romancier un désir de théâtre. Il n’est pas facile, en effet, de passer avec bonheur d’une écriture à l’autre : la page a ses exigences, le plateau les siennes.
La rencontre et le dialogue avec le public à l’issue des présentations des travaux de l’EPAT a été encourageante. Nous étions enthousiastes et les deux François aussi ! Nous avons décidé de transformer l’essai en création et, par ailleurs, de publier la version scénique d’Entre les murs en Tapuscrit^[2].
Je précise également que cette étape s’était déroulée avant la sortie du film de Laurent Cantet. Plus tard, nous nous sommes rendu compte que les mêmes situations et parfois les mêmes mots, résonnaient sur le plateau bien autrement qu’à l'écran.
Parallèlement à l’aventure Entre les murs, nous avons accueilli à Théâtre Ouvert la mise en voix de Fin de l'histoire, par et avec François Bégaudeau et Cécile Backès, ainsi que celle de Un démocrate, Mick Jagger, assurée par François lui-même^[3]. Par la suite, il nous a remis sa première pièce de théâtre : Le Problème^[4].
Nous avons procédé avec lui comme nous le faisons toujours. Nous avons lu sa pièce, avons échangé nos impressions en interne puis nous l’avons rencontré pour un dialogue constructif. Ce fut bien le cas et nous avons eu ainsi le plaisir de publier la pièce dans notre collection Tapuscrit, dont la double vocation est axée autour du binôme édition/diffusion. Une pièce doit circuler le plus rapidement possible.

À Théâtre Ouvert, nous nous félicitons d’avoir contribué à l’épanouissement d’une oeuvre théâtrale et nous sommes ravis de savoir que Le Problème sera créée par toi, au Théâtre du Nord puis du Rond-Point, puis présentée au Théâtre Marigny, avec la distribution que nous apprécions pour les raisons que tu sais^[5].

Notre compagnonnage avec François Bégaudeau se poursuit naturellement puisqu’il sera de nouveau présent avec quelques autres écrivains à Théâtre Ouvert dans J’ai 20 ans qu’est-ce qui m’attend ?, une nouvelle session de l’EPAT. mise en œuvre par Cécile Backès et Maxime Le Gall^[6].

A.M. – J’ai pu t’entendre évoquer, Lucien, au sujet de la pièce, un « faux naturalisme ». Pourrais-tu revenir sur cet aspect-là du Problème ?

L.A. – Effectivement, il me semble qu’un des écueils consisterait à prendre le texte au premier degré.
Cette question du naturalisme ou du « faux naturalisme » est récurrente dans les écritures françaises depuis le milieu du 20ème siècle. Dès les premières pages du Problème, j’ai pensé à une pièce qui m’avait énormément marqué - et qui continue à me nourrir : La Demande d'emploi, de Michel Vinaver. Lorsque nous l’avions présentée à Avignon, en 1972^[7], dans la mise en espace de Jean-Pierre Dougnac, elle avait eu un fort retentissement et avait marqué, pour reprendre son expression, « le retour en selle » de Vinaver. Je retrouve dans la pièce de François Bégaudeau, qui, nous avait-il dit, ne connaissait pas alors le théâtre de Vinaver, un climat qui m’y fait repenser.

A.M. – Pour ma part, j’ai toujours pensé que François Bégaudeau était un « vinavérien » qui s’ignore !

L. A. – Et tu as sans doute raison ! Comme La Demande d'emploi, Le Problème se concentre autour d’une structure familiale d’aujourd’hui. François Bégaudeau cerne une génération à travers une figure qui, parvenue à l’âge de la quarantaine, bascule. Il se projette également dans la génération qui va suivre par le biais du fils, Adam, et de la fille, Julie. Enfin, on retrouve chez ces deux auteurs le même attachement au banal, au quotidien.

A.M. – Michel Vinaver rappelle souvent que dans les années 50, les auteurs de théâtre écrivaient aussi de la littérature (il rappelle souvent le rôle décisif qu’a eu Albert Camus pour lui). N’est-ce pas un signe intéressant qu’un François Bégaudeau s’intéresse aujourd’hui au théâtre ?

M.A. – A l’époque, tout romancier se devait, il est vrai, d’écrire du théâtre. Cela faisait partie de leur cheminement. Mais il faut admettre que le théâtre de Jean-Paul Sartre, d’Albert Camus, de Jean Giraudoux a beaucoup vieilli… Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas confondre deux réalités : d’une part, les romanciers qui se sentent comme dans l’obligation d’écrire des pièces de théâtre, et, d’autre part, le fait que les arts ont tendance aujourd'hui à se rencontrer plus aisément. Ainsi, le fait que François Bégaudeau, comme François Bon d’ailleurs, s’adonne en même temps à des écrits sur le rock et à des formes théâtrales ne me parait pas antinomique. Ce que nous rappelons à Théâtre Ouvert c’est qu’écrivain de théâtre est un métier qui s’apprend et nous nous efforçons à aider les romanciers à passer au théâtre en les confrontant avec des comédiens sur un plateau. Ce qui ne s’apprend pas bien sûr c’est la langue, l’inspiration, les idées.

Et si nous essayons, comme nous l’avons fait avec Emmanuel Darley ou Laurent Gaudé, par exemple, de rapprocher les romanciers des plateaux de théâtre, c’est avant tout parce que l’auteur de théâtre demeure aujourd’hui encore très esseulé. Enfin, il me semble que François Bégaudeau est parti pour devenir un auteur de théâtre de tout premier plan.

Retranscription Julien Fišera