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Le Problème

mise en scène Arnaud Meunier

: Note d'intention

par Arnaud Meunier

Elle rompt. Annie, la quarantaine, vient chercher ses affaires. Deux adolescents bacheliers, son fils et sa fille, l’interrogent, la jugent ou la soutiennent. Écrivain, ses cinquante ans scotchés à son canapé, Alban conteste et se contient. Homme tassé, cassé, il fait des phrases pour retrouver un semblant de dignité. Mais Annie part, quitte le salon huppé et le confort acquis. Elle affronte ses enfants et son mari, choisit le plaisir, la légèreté, une nouvelle vie l’attend ailleurs. Et les ados bûchent entre deux engueulades sur un autre problème posé par le prof de philo : la conscience est-elle compatible avec le bonheur ?

Une histoire aujourd’hui
Le problème, c’est l’histoire d’une femme qui s’offre une seconde chance, qui a le courage de faire un choix.
Le problème, c’est l’histoire d’un couple qui s’est aimé, qui s’aime sans doute encore, mais plus assez, plus comme avant, qui n’a pas su échapper au poids des habitudes.
Le problème, c’est l’histoire d’une famille qui vivait jusque-là dans une relative tranquillité et prospérité, où les enfants vont bien et sont intelligents, où rien ne devait venir troubler le cours normal et paisible des choses.
Un beau jour, la mère laisse une lettre sur la table de la cuisine qui révèle sa liaison avec un autre homme et son désir de partir vivre avec lui. Elle reviendra le soir pour en parler aux siens et partira.
Le problème c’est l’histoire de cette heure qui précède le départ.


Une comédie grinçante
C’est aussi la radiographie précise et méticuleuse de ces quatre-là qui forment une famille : la mère, le père, le fils et la fille. Sous un scalpel tranchant, François Bégaudeau dissèque cette heure particulière avant que la mère ne quitte la maison. C’est une comédie grinçante dans laquelle il observe ses personnages sans surplomb ni mépris.
C’est aussi d’un quatuor dont il s’agit, d’une partition pour quatre acteurs. Les didascalies sont avant tout rythmiques. Elles sont l’élément dramaturgique principal qui exige de jouer la pièce sur un fil entre profondeur et légèreté, entre quotidien et accidentel, entre l’avoué et l’indicible.


Un faux naturalisme
Je parlerais volontiers d’une dramaturgie du trompe l’œil. On y trouve, certes, une langue d’aujourd’hui, banale dirait-on, qui semble caractériser la volonté d’une écriture de l’ordinaire de cette famille et en même temps, une sorte de joute oratoire, de plaisir du raisonnement et de la rationalisation parfaitement inhabituel. Dans la réalité, on imaginerait mal les membres d’une famille se parlant si franchement et si ouvertement.
Là où l’on attendrait plutôt de la psychologie sentimentale, François Bégaudeau propose et postule tout le contraire : tout le monde cherchera à exposer, à argumenter, à objectiver ce qui d’habitude conduit plutôt au non-dit et à l’évitement.


Un quatuor d’exception
Il me fallait donc des interprètes instrumentistes capables de donner corps à ce faux- semblant. Des virtuoses pour vibrer à l’unisson, incarner cette famille tout en faisant entendre un texte d’une redoutable précision.
Le choix d’Emmanuelle Devos a été essentiel pour cette musique de chambre parce que je sais qu’elle peut offrir l’intensité et la légèreté du rôle, que le spectateur en ressortira troublé.
Jacques Bonnaffé représentait son mari idéal par la dimension poétique et puissante qu’il peut apporter au personnage et sa forte sensibilité musicale dans l’approche d’un texte de théâtre.
Ce sera la première fois qu’ils joueront ensemble.
Les deux jeunes (Anaïs Demoustier et Alexandre Lecroc) incarneront les contre-points tantôt légers et ironiques, tantôt touchants ou irritants qui compléteront cet ensemble musical.


L’intimité comme subversion
Ce qui m’a immédiatement passionné et excité à la lecture de la pièce de Bégaudeau, c’est sa capacité à nous fasciner avec du banal. Sa façon de « chercher la petite bête » qui fait que les choses ne vont plus de soi, de mettre à jour la part conservatrice voire, osons le mot, réactionnaire qui est en chacun d’entre-nous, « gens modernes » à priori ouverts d’esprit et pourtant prêts à bondir, à se scandaliser quand ça nous arrive à nous, quand il s’agit de notre intimité.
Comme si après plus de quarante ans de féminisme et de lutte pour la libération de l’épouse au foyer, la norme acceptable demeurait celle d’une femme, certes active, mais qui ne devrait en aucun cas privilégier sa propre vie, sa recherche du bonheur, ses ambitions propres, comme si tout cela ne pouvait être acceptable qu’en marge d’un dévouement naturel et sans limite pour son mari et ses enfants. Comme si nous considérions encore que la mère est celle qui par nature endure, se sacrifie et prends sur soi.
Dans une époque où un véritable retour à l’ordre moral s’opère un peu partout autour de nous, cette pièce m’a paru presque subversive dans ses insinuations et ses interstices.


L’exaltation du voyeurisme
Les spectateurs seront autant de voyeurs car le « quatrième mur » est étanche avec la salle. Pas d’adresse au public, pas de monologue réflexif, aucun élément didactique : du quotidien, de l’ordinaire où surgit un « accident » que personne n’avait prévu.
Cette simplicité porte en elle l’exceptionnel.
Pas de leçon, pas de morale : juste une femme qui quitte le foyer conjugal, ce qui pose problème.


Une lentille déformante
Le décor est ici un véritable cinquième interprète du plateau. Il fait pleinement partie de la partition. Par les gestes quotidiens qu’il induit (dans la cuisine notamment), il est, lui aussi, source d’un rythme qui n’est pas moins important que les paroles échangées. Avec Damien Caille-Perret, le scénographe du spectacle, nous avons chercher à revisiter l’espace unique du salon / cuisine américaine de la pièce en le déformant. Pour que ce qui aurait pu nous apparaître comme un intérieur quelconque et sans intérêt devienne l’espace idéal propice à l’observation et à l’imaginaire. Pour mieux épier, intriguer et toucher.


Une première œuvre
Le problème, c’est aussi la première œuvre écrite pour le théâtre de François Bégaudeau. Par conséquent, nous aurons une responsabilité collective pour convaincre de l’intérêt et de la pertinence d’un auteur plus connu pour ses romans. En même temps, c’est un signe formidable que de revoir des écrivains s’intéresser à ce genre si particulier qu’est le théâtre.
Un signe qu’il faut revendiquer et porter haut en faisant du problème une création singulière et déroutante, tout aussi passionnante qu’inhabituelle.

Arnaud Meunier

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