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Le Faiseur

mise en scène Robin Renucci

: Balzac thermodynamique

Thermodynamique ? Balzac ? Oui. En ces années 1830-40, science et société découvrent et mettent en jeu les lois du mouvement. Les phénomènes se font échos et ce n’est pas simple coïncidence si Sadi Carnot avec ses Réflexions sur la puissance motrice du feu pose les bases d’une discipline nouvelle : la thermodynamique. Les changements d’état de la matière, la chaleur, l’énergie et le mouvement seront désormais partout, moteurs, créateurs de richesse.


La nombreuse famille des personnages balzaciens – dans laquelle notre Mercadet Faiseur prend place au premier plan – vit dans une société bouleversée. Changements de conditions abrupts et subits, irruption violente de la puissance de l’Argent, devenue plus forte que les titres de noblesse, et souvent que les lois, naissance de la grande presse, avec une influence considérable sur les rouages politiques, déplacements de populations vers les villes, « montée » de nombreux provinciaux à Paris. Ces phénomènes forment le panorama mouvant de La Comédie humaine.


Nous sommes entre deux révolutions. 1830 : une révolution essentiellement politique, avec le retour du drapeau tricolore. Une révolution déclenchée par une lutte pour la liberté de la presse, une révolution brève – Les trois glorieuses – qui reste à mi-chemin avec ce pacte entre la Nation et Louis-Philippe, pacte instable par nature.


Et 1848 : révolution nourrie de l’écart qui s’est terriblement creusé en quinze ans entre pauvres et riches. Révolution idéaliste et généreuse, avec son président poète : Lamartine. Un rêve de six mois dont Marx théorisera l’échec. À partir du constat amer tiré par Marx de la sanglante répression de juillet 48, les socialistes utopiques français – Proudhon, Cabet, Fourier, Leroux, ... – vont, pour quelques décennies, être marginalisés. Mais avec Balzac nous n’en sommes pas là, quoiqu’il ait vécu la révolution de 48 il n’a pas eu le temps d’en écrire la philosophie.


Entre ces deux explosions, le règne de Louis-Philippe, avec son parapluie à la main et son air bonhomme, semble calme, vu de loin. Ce n’est pas le cas vu de près. La société bouillonne. Le peuple paupérisé se soulève (voir les révoltes des canuts à Lyon), la bourgeoisie d’argent construit, achète, spécule, créée des sociétés. On ne parlait que par actions. Il y avait toutes sortes d’a!aires. Il se créait tous les jours vingt sociétés nouvelles. Évidemment, sans régulation ni contrôle. C’est une véritable épidémie de sociétés par action entre 1830 et 1840. Un enchaînement de bulles spéculatives comme celle des chemins de fer qui éclate en 1847. Dans toute La Comédie humaine on entend résonner le bruit de l’argent, des fortunes et des faillites. Et puis il y a les nobles, revenus d’immigration, qui briguent des places, les républicains qui s’organisent, les nostalgiques de l’Empire qui se disent « pourquoi pas ? », les légitimistes qui contestent le roi bourgeois.


De leur côté les saint-simoniens, au départ groupe de polytechniciens, inventent le mot « industriel », prophétisent l’importance première des moyens de transport et de communication, défendent une société libérale où le travail productif enrichira tout le monde.


Avec l’alliance Travail-Science-Industrie-Banque et une société de libre-échange, ils préfigurent la grande industrie du XXe siècle. La France rattrape à marche forcée son retard sur l’Angleterre. Les infrastructures sont en chantier : chemins de fer, canaux, mines, usines. Tous développements économiques qui prendront leur essor avec Napoléon III puis avec la IIIe République.


Un grand événement comme la Révolution française semble couper l’histoire en deux, mais c’est une vue de l’esprit. Les hommes font un pont entre les événements. Vous êtes né en 1780 à Paris : vous avez vu la monarchie absolue, la Révolution, 89, 93, l’épopée napoléonienne, la Restauration, les Cent jours, la révolution de 30, celle de 48, et vous n’avez que soixante-huit ans.
Balzac a vécu cette dynamique sociale qui allait on ne sait où exactement, mais bâtissait, creusait, fondait, rêvait avec flamme et passion.


Baudelaire l’exprime magnifiquement :
«"J’ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur : il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire et visionnaire passionné.
Tous ses personnages sont doués de l’ardeur vitale dont il est animé lui-même. Depuis le sommet de l’aristocratie jusqu’aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne le montre.
Bref, chacun, dans Balzac, a du génie.
Toutes les âmes sont des âmes chargées de volonté jusqu’à la gueule. »

Evelyne Loew

28 septembre 2014

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