: Note d'intention
Le banquier Mercadet est un formidable affairiste : il excelle à faire de l’argent avec de l’argent. Rompu aux roueries, virtuose de la tromperie, il organise autour de lui le bal des créanciers. Les dettes contractées par Mercadet sont au centre de la pièce, à la fois clefs dramaturgiques et fondements philosophiques. Les doléances s’enchaînent dans une ronde étourdissante mais à chaque fois, en véritable comédien, Mercadet retourne la situation par un brillant volte-face. Il mêle la famille aux a!aires en faisant du mariage de sa fille Julie un mirage pour repousser ses attaquants, une ruse dont il use et abuse pour se sortir de l’impasse. Dans un enchâssement cocasse de jeux de mensonges, c’est la puissance motrice de la dette qui oeuvre. La dette devient horizon métaphysique de la pièce : elle fait courir les créanciers parce qu’elle est notre en-commun le plus essentiel ; tout être humain est toujours le débiteur de l’autre, l’enfant de ses parents, la Terre du soleil.
Lorsque le spectacle commence, le plateau vide contraste étrangement avec le capharnaüm
de meubles et d’objets qui règne autour : Monsieur et Madame Mercadet, à court d’argent
pourtant, ont remisé les meubles de leur appartement parisien pour entreprendre des
travaux d’embellissement. D’emblée, cet espace paradoxal donne la règle : il faut à tout prix
tromper le visiteur, dissimuler le dépouillement véritable sous une somptuosité apparente.
C’est dans le huis-clos d’un salon bourgeois que le faiseur Mercadet fait son jeu, embrouille
son monde. Alerte et flamboyante, la fable prolifère à un rythme infernal. Le décor l’y invite"":
d’un superbe noir laqué, il est à la fois écrin de luxe et théâtre.
Le dispositif à deux ressorts sert un jeu ludique et jaillissant, un va-et-vient jubilatoire
entre les personnages du XIXe siècle et les acteurs du XXIe siècle. Toujours présents
autour du tréteau où se joue la scène, les acteurs sont prêts à bondir pour y prendre part.
L’espace libère les protagonistes corsetés par leurs obligations sociales et leurs intérêts
personnels : il rend toutes les trajectoires, toutes les collisions possibles. Au principe de
cette dynamique collective, il y a la fuite en avant de Mercadet, qui sans cesse se jette dans
le vide pour mieux se rattraper. Tout le plaisir est dans le risque.
Très silhouettés, entre réalisme et grotesque, les personnages nous plongent dans un
univers Daumier monochrome et ra#né où chacun se met en scène dans le jeu social
et mondain. Les protagonistes sont sous le poids d’une perpétuelle menace – celle de la
ruine - sans jamais pourtant perdre la face. C’est la condition pour survivre dans ce monde
cynique. Le Faiseur nous offre la vision jouissive et effrayante d’un monde froid dans lequel
l’individu, dans une course frénétique, tente de sauver sa peau ; un monde où l’homme,
pour reprendre les mots de Balzac, est un « lièvre poursuivi ».
En écrivant Le Faiseur, Balzac est visionnaire. Dans ce texte matriciel du libéralisme
économique, il annonce dès les années 1840 les dérives de la spéculation telles que nous
les subissons de plein fouet en 2015. Descripteur d’un capitalisme financier dont le théâtre
se fait aujourd’hui témoin, Balzac, avec une contemporanéité inouïe, rend compte de la
spirale extrême où entraîne la finance.
Les Tréteaux de France souhaitent faire goûter cette langue balzacienne, terrible de
clairvoyance et de drôlerie, qui nous parle si fort. À travers cette mise en scène tout en clair-obscur,
nous voulons éclairer nos zones d’ombre contemporaines et, en négatif, interroger
le monde que nous cherchons à construire ensemble.
Robin Renucci
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