theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Nuit du train de la Voie lactée »

La Nuit du train de la Voie lactée

+ d'infos sur le texte de Oriza Hirata traduit par Hélène Morita
mise en scène Oriza Hirata

: Entretien avec Oriza Hirata

Pourquoi avoir choisi de mettre en scène La Nuit du train de la Voie lactée ?


Le Théâtre de Sartrouville m'a demandé un spectacle qui soit pour les enfants, j'ai réfléchi à ce qui pouvait aller. J'ai entendu dire que j'étais le premier Japonais à travailler sur ce genre de projet, j'ai donc pensé qu'il serait mieux de montrer quelque chose de typiquement japonais, plutôt qu'une pièce de mon invention. En allant de ce sens, j'ai choisi Miyazawa, qui est un de mes auteurs préférés. Mon prénom, Oriza, a d'ailleurs été choisi dans une de cesoeuvres par mon père. Je n'ai donc pas longtemps hésité avant de choisir Miyazawa, et sa Nuit du train de la Voie lactée, qui est l'oeuvre la plus facile à adapter au théâtre. Après cela, j'en ai discuté avec des auteurs d'ici et j'ai découvert que Kenji Miyazawa n'était pas du tout connu en France. J'ai pensé que c'était une très bonne occasion. J'aimerais faire connaître Miyazawa aux enfants français.


KenjiMiyazawa est effectivement relativement peu connu en France et quand il l'est, ce n'est pas en tant qu'écrivain pour enfants.


Effectivement. Même au Japon, Miyazawa est un auteur vu comme difficile, même pour les enfants japonais, ses oeuvres sont complexes et peuvent faire peur. Mais même si, à six ou sept ans, ils ne comprennent pas tous les éléments, j'aimerais pouvoir leur communiquer une image de l'espace, la notion d'un espace immense par rapport à des êtres humains minuscules, et le fait que ces hommes minuscules sont liés entre eux. Ce genre de choses peuvent être comprises, même à six ans.


Vous avez supprimé certains passages existants dans la nouvelle, notamment ceux qui impliquaient la religion. Y a-t-il une raison particulière ?


Il faut savoir que la façon dont le Japon voit la religion, et particulièrement la façon dont Miyazawa voit la religion, sont très particulières. Par conséquent, en faisant cette pièce en France, la définition même du mot « religion » serait différente. Il s'agit, qui plus est, d'une pièce d'une heure, j'ai donc du supprimer de nombreux passages.


Vous utilisez des écrans dans votre adaptation. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?


L'espace est assez difficile à s'imaginer, l'image qu'on s'en fait est très relative, et dans la mesure où je dois faire une représentation simple, j'ai décidé d'utiliser un projecteur.


Vous pensez qu'il est difficile pour un enfant de visualiser ce qu'est l'espace ?


C'est une bonne question. Je pense que tous les enfants n'en ont pas la même image à l'âge de six ans. Qui plus est, il y a l'image du fait de voyager à travers l'espace. Les enfants japonais connaissent cette nouvelle, ils ont donc tout de suite une image déjà existante de l'idée d'un voyage dans l'espace. J'ai réfléchi à une mise en scène qui permette de comprendre facilement et rapidement qu'on était dans l'espace.


Il y a beaucoup de mystères et de passages vagues, de questions sans réponses dans la nouvelle. Comptez-vous offrir des éléments de réponse dans votre pièce ?


Non, je veux laisser ces énigmes entières, elles font partie de la richesse de Miyazawa. C'est la grande différence avec la télévision, beaucoup de choses peuvent être laissées sans réponse.


Si vous vouliez expliquer cette pièce à un enfant de six ans, que lui diriez-vous ? Quelles sont les thèmes, les messages que vous voulez transmettre ?


D'abord, il y a la fascination et l'attirance pour l'espace, qu'on retrouve chez les enfants du monde entier. Je me souviens, quand Apollo a atterri sur la lune, avoir suivi l'événement à la télévision. J'avais 7 ans. Avec cette fascination viennent certains peurs et un sentiment de solitude, également. C'est cette difficile attraction que je voudrais rappeler aux enfants. Il y a de nombreux thèmes : l'amitié, la mort… mais pour les enfants, je voudrais d'abord leur faire voir l'espace.


L'attirance pour l'espace est-il liée à une angoisse métaphysique, ou est-ce juste un agréable voyage ?


Cela dépend évidement des enfants. Les enfants peuvent lier leur intérêt pour l'espace à des notions de joie ou de tristesse. Je souhaite leur donner la chance de découvrir ce qu'ils ressentent.


Cette pièce est présentée comme japonaise, avec, par ailleurs, une actrice japonaise,mais les prénoms italiens originaux ont été conservés. Est-ce que cette pièce est « japonaise », et qu'est-ce qu'elle a de japonais ?


C'est vrai que même pour des lecteurs japonais, cette pièce n'est pas particulièrement japonaise.Miyazawa est un écrivain qui s'est beaucoup focalisé sur la description de sa province d'Iwaté, mais il utilise des noms latins, italiens, de l'espéranto aussi, c'est un auteur cosmopolitain. Mais je pense qu'une chose qui est très japonaise, c'est l'idée des morts qui voyagent, qui rappellent la fête de l'O-bon. C'est un concept très japonais, inscrit dans la tradition asiatique. C'est vrai qu'en dehors de ces éléments, ce n'est pas une pièce extrêmement japonaise, mais puisque je la mets en scène, j'ai voulu utiliser une actrice japonaise et introduire de la langue japonaise. Il y aura plusieurs moments où l'actrice parlera en japonais.


Face à un public d'enfants qui n'a pas nécessairement l'habitude du théâtre, mais est plus accoutumé de la télévision, où il n'y a pas autant de place pour l'imagination, que comptez-vous faire, en tant que metteur en scène ?


Il n'y a pas nécessairement autant de disparités sociales entre les enfants au Japon, mais la plupart n'ont jamais vu de pièce de théâtre. C'est donc la même question pour moi chaque fois, quand je fais une pièce pour les enfants : jusqu'à quel point faut-il simplifier pour les toucher ? J'ai montré ma pièce à quelques enfants et je consulte des professeurs dans son élaboration pour faire au mieux.


Il y a un aspect mythologique dans la pièce, on annonce plusieurs fois la mort de Campanella, est-ce que vous comptez insister dessus dans la pièce ?


En lisant la nouvelle, on ne se doute jamais que Campanella va mourir, c'est quelque chose qu'on découvre à la toute fin, et c'est là qu'on revient en arrière sur les signes annonciateurs. Je compte garder cet effet, je ne veux pas gâcher le coup de théâtre. Pour un enfant français, la mort de Campanella risque d'être perçue comme très injuste. Il meurt en sauvant un garçon qui se comporte mal envers Giovanni, c'est un peu à l'opposé de l'idée chrétienne que les bons seront sauvés et les méchants punis.
C'est là un autre aspect qui est très japonais. Dans le bouddhisme japonais, même les méchants vont au paradis, donc on a ce paradoxe, qui fait qu'au Japon, les méchants vont plus au paradis. Qui plus est,Miyazawa est un auteur qui est très obsédé par l'idée du sacrifice de soi. J'aimerais voir les enfants réfléchir sur ces thèmes.


Pourquoi avoir choisi des actrices pour jouer les enfants ?


C'est vrai que si j'avais demandé à des hommes adultes de jouer des enfants, ç'aurait été d'assez mauvais goût ! (rires) C'est un challenge, mais j'ai trouvé des actrices parfaites pour jouer Campanella et Giovanni, donc je pense que le résultat sera bon.


Qu'en est-il des prénoms italiens ?


J'ai beaucoup discuté et réfléchi aux prénoms – fallait-il les changer, les féminiser, les franciser – et j'ai finalement décidé de les garder, comme dans l'oeuvre originale.


En France, en entendant parler de la pièce, on l'a tout de suite comparé au Petit Prince de Saint-Exupéry. Qu'en pensez-vous ?


Le Petit Prince est très connu au Japon, au point qu'il y a même un musée. Cela paraît donc assez incroyable pour nous d'entendre que La Nuit du train de la Voie lactée n'est pas connue en France. Mais j'espère que connaître le Petit Prince aidera le public français à apprécier la nouvelle de Miyazawa. La Nuit du train de la Voie lactée a été écrit près de 20 ans avant le Petit Prince, la nouvelle comprend donc la connaissance technique de l'auteur.


En tant que metteur en scène japonais, n'est-ce pas difficile de présenter un texte en français et de diriger des acteurs français ?


C'est très difficile, cela demande trois fois plus de concentration. A la fin, je ne sais pas exactement ce qu'en pensera le public français, je dois donc m'appuyer sur les avis des gens qui m'entourent.


Que pensez-vous de la France ?


Je pense que c'est un pays juste envers le talent. Il y a de l'opportunité pour les créateurs. La plupart des théâtres des autres pays sont en ce moment dans une posture très conservatrice, il n'y a pas de place pour les metteurs en scène étrangers.


Quels conseils avez-vous pour les enseignants qui emmèneront leurs classes voir votre pièce ?


Je ne saurais pas leur donner de conseils, mais j'aimerais beaucoup savoir ce qu'ils en ont pensé, et je pense qu'il serait intéressant qu'ils fassent un travail après la pièce avec leurs élèves pour voir ce qu'ils en ont pensé. C'est une pièce qui pose beaucoup de questions, sur la vie, la mort, sur l'homme, et elles n'ont pas de réponse ici. Il serait intéressant d'utiliser la pièce pour voir les enfants discuter de ces sujets.


Entretien issu du dossier réalisé par Georges Papazoff Conseiller Pédagogique en Arts Visuels et Sasha Papazoff Etudiante en Master Japonais - Inalco Paris

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.