: L'Oeuvre
La Nuit du train de la Voie lactée est un ouvrage très célèbre et largement diffusé au Japon. Il fait partie du programme scolaire de la plupart des écoles élémentaires japonaises et a été adapté de nombreuses fois au théâtre et même en dessin d'animation.
Un livre pour enfants ?
Ce n’est pas un livre « pour enfants » à proprement parler. En effet, et bien que les maisons d’éditions choisissent
de le publier dans des collections de littérature enfantine, c’est un livre avant tout rédigé à
l’attention d’un public adulte, essentiellement citadin, avec pour intention explicite de toucher leur imaginaire
et de modifier leur vision de la campagne.
Langue et choix d’écriture
L'écriture de La Nuit du train de la Voie lactée n'est pas typique des récits pour enfants qui utilisent communément
un langage plus simple et évitent les termes techniques. Tout en fixant son point de vue sur
un jeune enfant,Miyazawa décrit un univers qui dépasse l’entendement de son personnage principal, notamment
dans le domaine métaphysique. Sa plume est complexe, souvent technique, utilisant des termes
scientifiques trop abstraits pour un jeune enfant sans les expliciter. Aux enfants, on propose donc plutôt
des versions simplifiées, souvent accompagnées d'images, voire des versions théâtrales ou, plus récemment,
des dessins animés. Ces versions enfantines, tout en reprenant l'univers décrit par Miyazawa, ne
gardent pas les descriptions elles-mêmes, jugées trop difficiles et déroutantes. La pièce de Oriza Hirata fait
ce même choix de simplification et d'épurement des termes et des thèmes jugés trop adultes.
La place de la campagne
Kenji Miyazawa est parfois considéré comme se classant dans un genre littéraire appelé « Nômin Bungaku
» ou « Littérature paysanne ». Dans ce genre littéraire, on met en valeur la vie en pleine nature et
on s'attache à la description exacte (et non romantique) des us et coutumes d’une région. Si Miyazawa a
écrit plusieurs nouvelles appartenant à ce genre, La Nuit du train de la Voie lactée n'en fait pas exactement
partie, du fait que l'auteur y utilise plus l'imaginaire et le mélange d'éléments d'origines religieuses
et culturelles différentes : orientales - occidentales, bouddhistes - chrétiennes.
La campagne occupe néanmoins une partie importante dans le récit, qu'il faut imaginer lu par un citadin
qui ne la connait pas et qui confronte le lectorat à ses images d'Epinal.
La fête du village ou matsuri
La fête est un événement très important de la vie japonaise, à la ville comme à la campagne. Elle rythme
l'année en célébrant les moments clés de la vie de la communauté. Les fêtes dites "matsuri" sont particulièrement
communes en été et accompagnées de danses et de feux d'artifice.
Deux matsuri peuvent être identifiées par transparence dans l'oeuvre de Miyazawa. L'une est Tanabata,
la fête de la 7e nuit du 7e mois. Cet événement est lié à la légende des étoiles Altaïr et Véga : deux amants
séparés par une rivière céleste et qui ne peuvent se retrouver qu'une fois par an, à l'occasion de la fête.
Les Japonais célèbrent cet événement en accrochant à des tiges de bambous des souhaits écrits sur du papier
coloré. L'autre est l'O-Bon, la Fête des morts et plus particulièrement la fin de cette fête de trois jours,
le « tôrô-nagashi » qui consiste à faire flotter sur la rivière des lanternes de papier qui doivent guider les
morts vers l'au-delà. La fête du Centaure (en japonais, matsuri du Centaure) qui apparaît dans la pièce est
une invention de Miyazawa basée sur ce modèle des fêtes japonaises.
Les influences des écrits étrangers
Miyazawa écrit dans une période où le Japon est devenu très ouvert et influencé par les écrits occidentaux
qui sont traduits et diffusés. Il semble avoir utilisé, ou du moins fait référence à deux ouvrages en particulier.
- La Cité du Soleil : utopie de l'auteur italien du moyen-âge Tommaso Campanella et dans lequel apparaît
un moine du nom de Giovanni , a vraisemblablement donné leurs prénoms aux héros. L'ouvrage n'est
néanmoins pas traduit en japonais à l'époque.
- Cuore : connu en France sous le titre Le livre-coeur. Il s’agit d’un roman pour enfants de l'auteur italien
Edmondo De Amicis qui se présente sous la forme du journal intime d'un enfant de dix ans. Ce livre, équivalent
au Tour de France de deux enfants par sa large diffusion et le caractère moral de ses leçons, est également
devenu très populaire en Asie. Il comporte un certain nombre d'éléments qui se retrouvent dans
La Nuit du train de la Voie lactée : la mère malade et alitée, le père absent pour un voyage, la lettre de
celui-ci, le manteau de loutre ou encore la locomotive sont autant de ressemblances significatives.
Importance et place de la religion
Miyazawa est élevé dans une famille bouddhiste peu pratiquante mais s'implique plus dans cette religion
que sa famille, allant jusqu'au prosélytisme, au point d'entrer en conflit avec son père. Le Japon n'est pas
un pays exclusif quand il s'agit de Religion. Influencé par les pays occidentaux et leurs religions d'Etat, le
Japon déclare le shintoïsme religion officielle du pays en 1868 et tente de créer un clergé de fonctionnaires
contrôlés par le pouvoir impérial. Le shintoïsme est une religion animiste indigène au pays qui désigne
l'Empereur comme descendant des divinités fondamentales Izanagi et Izanami. Néanmoins, de nombreuses
pratiques religieuses mêlent des éléments de bouddhisme et de shintoïsme alors que le christianisme influence
fortement les lettrés. Bien que Miyazawa soit un fervent bouddhiste, on ne peut par conséquent
pas lire l'oeuvre de en se basant uniquement sur ses convictions religieuses.
De nos jours, près de 85% des Japonais déclarent ne pas faire partie d'un organisme religieux et 64% déclarent
ne pas croire en dieu. Le pays a un esprit laïc mais tolère les différentes fois.
La mort et le sacrifice
Il est rapporté que, quand il était à l'école primaire, un de ses camarades de classe s'est noyé et que Miyazawa
a suivi, du haut d'un pont, les lumières du bateau qui le cherchait.
Certains commentateurs ont lié la notion du sacrifice dans l'oeuvre de Miyazawa avec la perte de sa soeur,
parlant d'une « littérature des survivants ». Il s'agirait, pour l'auteur, de faire ressortir la culpabilité face
à la mort et l'idée, chez celui qui perd un proche, qu'il aurait préféré être celui qui meurt et se sacrifier
pour que l'autre vive.
Texte issu du dossier réalisé par Georges Papazoff Conseiller Pédagogique en Arts Visuels et Sasha Papazoff Etudiante en Master Japonais - Inalco Paris
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