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Oncle Vania

mise en scène Pierre Pradinas

: Entretien avec Pierre Pradinas

Propos recueillis par Gabor Rassov en février 2014

Tu as monté La mouette avec succès. Pourquoi ce désir de revenir à Tchekhov aujourd'hui avec Oncle Vania ?


Pierre Pradinas : La mouette c'était il y a longtemps mais je pense régulièrement à l’oeuvre de Tchekhov. J'ai pensé monter Ivanov il y a quelques années et j'ai régulièrement travaillé sur ses farces ou ses nouvelles, notamment à l'Académie de Limoges. Le désir de monter une pièce est lié aux correspondances que tu trouves entre ce que tu vis ou ce que tu ressens de ton époque et ce qui est exprimé dans la pièce. Dans La mouette, c'était la volonté de changer le regard porté sur le personnage de Treplev (joué à l'époque par Denis Lavant) souvent maltraité dans les mises en scène. Je ne m'assimilais pas à Treplev, ce n'était pas aussi direct, mais nous nous retrouvions tous dans ce jeune artiste qui fait face à une certaine adversité. Son désir de se manifester, sa volonté d'inventer quelque chose de nouveau, son côté éruptif et sa mise en échec par un monde dominant trouvait un écho en nous. J'avais le désir de le revaloriser. Ce n'est pas parce que dans la pièce Trigorine le considère comme sans talent qu'il n'en a pas, ce n'est que l'avis de Trigorine. Dans Oncle Vania c'est différent bien sûr. Peut-être plus diffus. Tchekhov donne l'impression d'avoir un certain recul sur les faits et les gens. Il pourrait être Vania ou Astrov ou Sérébriakov qui serait un Trigorine qui aurait vieilli, comme une projection négative de lui-même. C'est la possibilité d'identification avec ces trois personnages qui forment un ensemble qui m'intéresse énormément.
Difficile de dire duquel je me sens le plus proche aujourd'hui. Ça va être très intéressant de les mettre à l'épreuve avec les acteurs qui vont les jouer. À la lecture, on peut avoir envie d'attaquer tel personnage, c'est important de découvrir ce qu'il y a pour le défendre car Tchekhov ne juge pas, il ne donne pas de leçon c'est son angle d'observation qui permet une synthèse. Les personnages féminins sont aussi très forts. Le conflit larvé entre Sonia et Éléna qui essaie de trouver sa place dans cette famille que l'on pourrait qualifier de recomposée a un écho évident aujourd'hui. Il y a aussi un extraordinaire "pataquès" amoureux. C'est une partie dont il faut rendre compte fortement. Vania aime Éléna qui est aimée de Sérébriakov et d'Astrov. Sonia aime Astrov mais n'est pas aimé de lui. Éléna aime peut-être Astrov.....Parler du désir, du secret....il existe un gros non-dit dans notre société autour de ça. Le révéler de façon manifeste dans la pièce me paraît intéressant.


Tu insistes sur l'humour de Tchekhov, il n'est pas toujours évident à la première lecture...


Pierre Pradinas : Bien sûr Tchekhov raconte des histoires tragiques où la solitude a une grande place, mais il les raconte à travers l'observation des gens au quotidien, par l'accumulation de détails, d'instants qui peuvent être drôles en eux-mêmes. À condition de ne pas les relier systématiquement au destin tragique des personnages. Mais c'est comme pour tout un chacun, chaque geste que nous faisons peut être considéré comme dramatique si nous les lions à notre fin inéluctable, autrement ils peuvent être simplement ridicules, grotesques, touchants, etc... et en tous les cas ils valent le coup d'être vécus pour eux-mêmes. Il me semble que si on ne raconte les pièces de Tchekhov que dans leur dimension triste on perd une partie essentielle de sa façon de ressentir les choses. Ses personnages ont d'ailleurs tous un côté ridicule qui leur donne de la vie et évite de les réduire à des figures tragiques. Et puis on ne trouve pas dans ses pièces le déroulement implacable des tragédies. Dans les tragédies tout réussit, un personnage veut tuer, il tue. Dans Tchekhov, ils ont plutôt tendance à rater, cela donne une dimension grotesque plus proche de la comédie. Il y a une forme d'inversion dans ses pièces qui me plaît énormément.


Comment envisages-tu ta distribution ?


Pierre Pradinas : Les personnages de Tchekhov sont comme une famille il est donc important que les gens qui vont les interpréter aient une relation forte. Il faut aussi échapper aux clichés Tchekhoviens; Éléna serait une blonde éthérée, Sonia serait moche, Astrov serait un bellâtre... Il ne faut pas bien sûr les appliquer aux pieds de la lettre, afin de rendre très lumineux des choses qui n'apparaîtraient pas si on s'en tenait à cela. On retrouve dans les personnages de Tchekhov quelques une des grandes figures de la commedia dell’arte, celles universelles de la comédie humaine. La singularité et la vérité de sa vision de l'universalité sont d'une certaine façon contenues dans une réplique emblématique de Chabelski, un des personnages d'Ivanov, que l'on pourrait mettre en exergue de son oeuvre: "En quoi une maison de fou est-elle différente de toutes les autres maisons ?"


Un mot sur la scénographie ?


Pierre Pradinas : J'ai l'idée d'une sorte d'île avec des personnages surgissant du passé et qui convergent vers ce lieu avant de repartir. Comme une allégorie du théâtre. Comme si dans la vie on s'était mis dans un endroit stratégique d'où on pouvait tout observer.

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