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Les Visionnaires

mise en scène Elise Marie

: La mise en scène

«Sans la folie, que serait l'homme, sinon cet animal bien portant, cadavre ajourné qui engendre la vie ? »
Fernando Pessoa


Les scènes des Visionnaires se suivent comme autant d’espaces/temps où l’incommunicabilité la plus totale se donne en spectacle : les personnages ne font qu'étaler à tour de rôle leurs logorrhées psychopathiques. Ils n'existent en effet qu'au travers de leurs prises de parole saugrenues. Car leurs errances drolatiques sont éminemment langagières, et nous plongent dans une poétique du monde farfelue et superbe. On assiste alors à un défilé de dialogues de sourds, qui ne sauraient se rencontrer ; quant à se marier (ce qui est censé être l’intrigue de la pièce !), ces fantaisistes du verbe en sont incapables, enfermés qu'ils sont dans leurs extravagances !


L’argument de la pièce n’a que peu d’importance en effet. Les mariages qui doivent se faire ne s'accomplissent même pas en fin de pièce, comme le veut la tradition. C'est le dénouement avorté, l'échec de l'intrigue, qui n'est qu'un prétexte à « une déferlante d’alexandrins âpres, forts en langue », différents de ceux du répertoire classique qui s'inaugure, une langue « bizarre » et pas forcément «élégante», comme on peut la connaître dans la période la plus mûre de ce siècle. La langue des Visionnaires est antérieure à la métrique classique du XVIIe siècle : elle nous paraît à la fois étrangère et extrêmement proche ; elle souffle un vent de liberté, qu'on ne retrouvera quasiment plus dans la littérature française :


« elle instaure un rapport au théâtre que la codification du XVIIe siècle tardif nous fera oublier: un type de comédie dans laquelle l'histoire n'est pas le fond du support spectaculaire. Cela, en soi, c'est étonnant. A la limite, il faudra attendre le XXe siècle, les surréalistes, Roger Vitrac par exemple, pour commencer à retrouver des dramaturgies qui fonctionnent sur ce mode. La pièce de Desmarets de Saint-Sorlin a des dimensions surréalistes à force de folie. Rien que le titre ! Il faudra longtemps pour qu'on rencontre à nouveau ce type d'audace dans l'écriture », écrit Christian Schiaretti dans le Programme pour la Comédie de Reims, lorsqu’il monte la pièce en 1999.


Monter «Les Visionnaires» aujourd’hui, c’est essayer tout d’abord de mordre dans cette langue superbe, ce vers baroque pour en extraire la modernité confondante. Faire connaître cet auteur incroyable et méconnu ; dépoussiérer l'alexandrin, le rendre concret, actuel, contemporain. Parce que Desmarets de Saint-Sorlin en 1637 parle de l'homme, de ses travers, de ses incohérences, il parle de nous aujourd'hui. Et parce que l’incohérence, le chaotique appartiennent à l’âme du monde, donc au théâtre, nous rêvons de nous emparer de ce matériau, de mordre dans cette langue étrange et proche avec un appétit et une frénésie sans limites, de plonger dans son dérapage périlleux afin de tenter l’ascension de sommets déjantés. Donner de la chair à ces mots gourmands avec énergie et jubilation. Opérer un aller sans retour dans les affres de cette folie qui nous guette tous, accepter que la raison lâche ses prérogatives pour faire place nette à la fantaisie extrême et ce jusqu’à l’absurde.


Si la pièce est une conversation folle entre personnages, ce sera aussi une confrontation ludique entre acteurs. Car cette folie, c’est aussi la nôtre, pas seulement celle de ces personnages ; jeu dépouillé, très concret, et engagement rigoureux sont les mots d’ordre, dans un esprit de fidélité cependant à la jeune tradition visuelle et burlesque de la compagnie « Le Toucanlouche » qui accueillera ce spectacle.


L’univers fait du rouge des passions qui animent les personnages ; peu de décors, un plateau quasiment nu : une grande table amovible, transformable (tour à tour table de conférence, de banquet, proscénium, puis changée en petites unités pour créer des espaces plus intimistes), tantôt élégante ou brute, (rappelant l’atelier, le théâtre de tréteaux ou le ring…) sera le terrain de jeu de cette famille de déjantés. Trappes et cachettes, lumières incluses au sein de ce décor ludique. Une table qui s’éclate en morceaux épars, qui roule, qui se transforme, qui s’approche peu à peu du public, invitant insidieusement le spectateur à partager le repas de la folie de ces Visionnaires. Car ces fous qu’ils observent, ce ne sont pas les personnages, ce ne sont pas les acteurs, ce sont eux tous à la fois, ce sont les hommes.


Pas de coulisses, des instruments de musique, quelques accessoires et éléments de travestissement. Les costumes contemporains. Si changements il y a, ils se font à vue. Malgré des passages oniriques plus esthétiques, nous ne faisons pas croire au spectateur qu’il est ailleurs qu’au théâtre : il est pleinement inclus dans le processus de la représentation (il n’y aura pas de quatrième mur). Parce que nous ne souhaitons pas seulement que le public voie et entende du théâtre, mais qu’il y croit comme à une autre réalité, une autre possibilité de la vie.


C'est une pièce d'acteurs. Tous les comédiens occupent en permanence l'espace de jeu, spectateurs constants de la folie de leurs congénères, brouillant ainsi les pistes et les codes, jusqu’à ce qu’on ne sache plus qui de l’acteur ou de celui ou celle qu’il interprète est le plus atteint. Nous voulons réaffirmer la place essentielle de l’acteur dans notre création et interroger les relations multiples qu’il entretient avec le partenaire-public en fonction de la singularité du texte que nous avons choisi.


Un groupe d’acteurs ouvert aux possibles des personnages, dans la joie de jouer avec les codes et mystifications du théâtre.


Une pièce barock'n roll / De la musique (chant, guitare). Alternance de rock et de musique baroque comme les allers-retours hétéroclites des personnages entre la sagesse et la violence de leurs convictions. Nous n'hésitons pas à juxtaposer, superposer des éléments de sérieux, de grotesque, beaux et ridicules, à mettre en tension, à surenchérir, fidèles l'esprit baroque et à ses mises en abyme vertigineuses. Un rêve, un cauchemar éveillé.
Monter cette pièce à l’heure actuelle, ce serait aussi donner à voir du théâtre porté par une troupe nombreuse : neuf comédiens sur le plateau, c'est très rare aujourd'hui à cause des réalités contemporaines ; c'est essayer d'inventer une une autre réalité que celle de l'économie du spectacle actuelle ; Essayer de créer ce théâtre dont parlait Peter Brook, cette « arène où peut avoir lieu à plusieurs une confrontation vivante », ce lieu ou l’on joue à faire « comme si », ou « le jeu est un jeu ».


« C’est bien la pire folie que de vouloir être sage, dans un monde de fous » écrivait Erasme. Forts de cette devise, nous tenterons donc de préparer un grand terrain de jeu, ce grand embrasement de l’espace scénique, où l’humour deviendrait une des pirouettes possibles contre la morosité ambiante.

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