theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « L'Aigle à deux têtes »

L'Aigle à deux têtes

+ d'infos sur le texte de Jean Cocteau
mise en scène Caroline Rainette

: Entre amour et politique

La pièce est avant tout un drame psychologique, qui met en scène des personnages romantiques aux sentiments purs, absolus, dédaigneux des normes sociales. Ils ont été conçus comme des « animaux fabuleux », des monstres de courage et de passion déchirants, des forces qui s'opposent, qui s'abolissent, s’inversent : « une reine anarchiste et un anarchiste d'esprit royal »[1]. Ainsi les deux protagonistes principaux sont d’abord deux solitudes dotées d’un trop-plein de vie : « L’art est un cortège de solitudes. Mais, lorsque des solitudes s’épousent, il en résulte une force incalculable »[2].
La reine n’est d’abord qu’une veuve triste et digne, perdue dans un monde qu'elle ne comprend pas et dont elle veut s'exclure. Mais sous l’impulsion de Stanislas elle devient courageuse, impétueuse, fougueuse, passionnée, et se révèle attirée par le désordre, la provocation non conformiste, la folie. Elle veut s'élever, échapper à la réalité, à un monde trop petit pour elle, pour pouvoir accéder à ce qu'elle ressent, qui l'appelle et qui l'amène à espérer autre chose. Stanislas, le jeune anarchiste aux élans meurtriers, est d’abord ravagé par une cause mais devient un homme ravagé par son amour. Tous deux s’affrontent jusqu'à ce qu'ils reconnaissent dans leur antagonisme même l'expression de leur amour. Amour fait de haine et de violence, où les rapports de force s'inversent et qui ne peut aboutir, comme dans toutes les grandes passions symboliques, qu'à la mort. Fascinés l'un par l'autre, ces deux êtres que tout semble séparer se rejoignent alors par une communauté d'esprit étonnante, et toute la fin de la pièce, d’une rigueur implacable telle une « machine infernale », n’est qu’une marche vers la mort après ce trop-plein de vie, où l’on peut cependant se demander si la Reine accomplit son destin ou s’en ait inventé un autre.


Outre ce drame psychologique, L’Aigle à deux têtes présente une vision originale de la politique et des rapports sociaux, regorgeant d'allusions au pouvoir. La Reine montre un cynisme lucide qui lui permet de voir les intrigues qui se trament autour d’elle. Dominée par les hypocrisies de l'étiquette, par le complot, par les rivalités personnelles, la vie de Cour apparaît comme l'archétype des institutions, toujours présentées dans l'oeuvre de Cocteau comme perverses et aliénantes. Pièce éminemment politique, la question du vrai et du faux se pose tout au long de l’intrigue, jusque dans le dernier dialogue qui constitue le dénouement dramatique de la pièce. Ainsi la célèbre phrase de l’auteur « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité »Cocteau, Théâtre complet, op. cit., p. 1346., signifiant que l'homme est socialement un mensonge, semble résonner tout au long des trois actes, et on constate ainsi que chez Cocteau le théâtre n’est ni historique, ni autobiographique, ni intimiste, mais, paradoxalement, par des moyens qui relèvent du paraître, il parvient à dévoiler l'être.


Mensonge, ambiguïté des personnages, différences sociales, amour absolu, le titre de la pièce résume à lui seul « la difficulté d’être » des personnages. Cocteau d’ailleurs ne s’y trompait pas, en déclarant à propos de sa quête du titre : « Un seul titre existe. Il sera, donc il est. Le temps me le dérobe. Comment le découvrir recouvert par cent autres ? Il me faut éviter le ceci, les cela. Éviter l’image. Éviter d’y dépeindre et de n’y pas dépeindre. Éviter le sens exact et l’inexactitude. Le mou, le sec. Ni long ni bref. Propre à frapper l’oeil, l’oreille, l’intelligence. Simple à lire et à retenir. J’en avais annoncé plusieurs. (…) Mon vrai titre me nargue ».[3] Aussi pensa-t-il d’abord intituler sa pièce La reine morte (mais le titre était déjà pris par Montherlant en 1942), l’Ange de la mort, La mort écoute aux portes, Azraël, ou même La Belle et la Bête[4], avant de choisir L’Aigle à deux têtes, deux têtes qui s'affrontent violemment et qui se séparent dans un déchirement loin de toute attente : un anarchiste face à une reine, deux forces antagonistes, deux idées qui veulent s’imposer, deux velléités de pouvoir. Dans cette histoire d'amour sur fond de conflit idéologique, la raison d’État s’oppose et s’impose aux raisons du coeur. La pièce donne ainsi la pleine mesure de l'humain en quête de son identité, faisant face à une destinée qui le dépasse.

Notes

[1] Préface de L'Aigle à deux têtes in Coteau, Théâtre complet, op cit., p. 1060.

[2] Cocteau, Mémoire de Jean Cocteau, lettres à Jean-Marie Magnan, Editions Autres Temps, p. 177.

[3] Cocteau, La Difficulté d’être, Editions du Rocher, 2003, p. 53.

[4] Cf l’inventaire établi par J.J. Kihm, E. Sprigge, M.C. Behar : Jean Cocteau. L'homme et les miroirs, Table ronde, 1968, p 284.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.