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L'Aigle à deux têtes

+ d'infos sur le texte de Jean Cocteau
mise en scène Caroline Rainette

: Historique et aménagement de la pièce

Ecrite pendant l’occupation en 1943, la pièce fut créée en 1946 avec Edwige Feuillère et Jean Marais dans les rôles principaux au Théâtre Hébertot, après avoir été jouée à Bruxelles et à Lyon. C’est en relisant l’histoire des Wittelsbach, ces « grands comédiens sans théâtre, poussés sur le théâtre du monde vers un dernier acte funeste et qu'ils veulent funeste et qu'ils écrivent de leurs propres mains »[1], que Cocteau conçut l’idée de L’Aigle à deux têtes. La référence à Louis II de Bavière donne à la pièce un riche intertexte : atmosphère lourde, pesante, châteaux aux architectures fantastiques inspirées des légendes allemandes. Quant à la Reine, Cocteau prit directement pour modèle Elisabeth d'Autriche, cousine de Louis II, aussi bien pour son portrait (l'une des femmes les plus belles et les plus brillantes de la cour d'Autriche, mais aussi une souveraine malheureuse qui se languissait) que pour sa biographie tragique (deuils successifs venant à bout de son équilibre mental) ou ses orientations politiques (souveraine qui n’était pas à l’aise à la Cour mais proche du peuple, et qui connut une mort tragique, assassinée par un anarchiste).


Lors de sa création, L'Aigle à deux têtes eut un vif succès, et Cocteau l’adapta en film en 1947. La pièce fut jouée dans le monde entier, aux États-Unis, en Australie, en Allemagne, et traduite dans de nombreuses langues, en espagnol, en japonais, en turc. En 1960, Cocteau la reprit, mais la critique fut cette fois très sévère[2]. La pièce fut rejouée dans une production d’importance à Montréal en 2005, dans une mise en scène de Marie-Thérèse Fortin avec Sylvie Drapeau et Hugues Frenette dans les rôles de la reine et de l'anarchiste. Mais à nouveau la critique ne fut pas tendre : « tel que le remarquera Hervé Guay dans sa critique pour Le Devoir (le 21 mars 2005), la pièce de Cocteau nous aura rebuté par son caractère trop "littéraire", par son "néoclassicisme" ou par son "tardif romantisme". Il fallait en quelque sorte un regard neuf pour redécouvrir une pièce qui, par le biais d'histoires royales, parle en fait du théâtre et de sa façon de nous entretenir de la perméabilité des frontières entre la vie et le jeu, la vérité et le mensonge »[3].


En effet, la pièce est incontestablement, pour un lecteur ou un spectateur d’aujourd’hui, grandiloquente, kitch, voire, par certains côtés, ridicule. Un travail de resserrement du texte était donc indispensable pour en supprimer les fioritures. Ce travail de contraction semblait d’ailleurs nécessaire à Cocteau lui-même lorsqu’il recréa en 1922 Antigone de Sophocle : « Ce qui semble court à une époque attentive et calme paraît interminable à notre trépidation. C'est pourquoi je déblaye, je concentre et j'ôte à un drame immortel la matière morte qui empêche de voir la matière vivante »[4]. On ne peut que faire la même constatation pour L’Aigle à deux têtes : il fallait aller à l’essentiel, moderniser la pièce, et donc supprimer certains thèmes désuets, tels la virginité de la reine, ou encore la différence d’âge entre cette dernière et Stanislas.
En contrepartie, ce travail de resserrement a permis de concentrer la structure dramatique du texte, et plus particulièrement de mettre en relief son aspect politique. Tous les personnages sont pris dans les intrigues de Cour, et, comme dans la tragédie grecque[5], semblent en proie à cette fatalité implacable, où le mensonge est partout. Même si à la fin les personnages laissent tomber leurs « rôles » de reine et de révolté pour devenir des êtres qui aiment, souffrent et meurent, ils n'en ont pourtant jamais fini du jeu, de la politique et du mensonge. Ni la reine ni Stanislas n’arrivent à se débarrasser de leurs rôles. L’un, pris au piège, se suicide, tandis que l’autre dans un double jeu, feint de ne plus aimer et redevient la reine intraitable et provoquante jusqu’à la mort.


C’est donc un texte plus direct que nous proposons, « dépouillé de la matière morte » comme disait Cocteau, et aux consonances parfaitement modernes.

Notes

[1] Cocteau, Journal, op. cit., p. 390

[2] « Tout cela sonne si faux ! Si creux ! On s’était émerveillé il y a quatorze ans. Peut-être voyait-on un idéal de théâtre dans cet étalage de fanfreluches et de rubans. On l’y cherche en vain aujourd’hui », Poirot-Delpech in Le Monde, 9 septembre 1960.

[3] Johanne Bénard, « La difficulté d’être/de jouer : L’Aigle à deux têtes » in Jeu : revue de théâtre, n° 117, 2005, p. 37.

[4] Cocteau, Théâtre complet, Gallimard, la Pléiade, 2003, p. 327.

[5] Cocteau use d’ailleurs d’un procédé auquel la tragédie a souvent recours : l’enfermement dans un lieu clos qui vient renforcer la fatalité du destin. Par ailleurs on peut remarquer que les personnages d’Edith et Félix fonctionnent comme le choeur des tragédies antiques, qui donnait le ton à chaque début d’acte.

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