: L'Honneur perdu de Katharina Blum
L'ARGUMENT
De quoi s’agit-il dans L’Honneur perdu de Katharina Blum ?
De la métamorphose - durant les 5 jours du carnaval (entre le 20 et le 25 février
1974), d’une jeune femme estimée, gouvernante de maison, jugée prude par ses amis
et perle rare par ses employeurs - en criminelle.
Le mercredi 20 février, lorsqu’elle prend le tramway pour se rendre à une soirée
dansante chez sa marraine, Katharina est une femme sans histoire. Bien faire son
travail chez les Blorna, les Hierpertz ou chez les restaurateurs qui l’emploient comme
"extra" les soirs de réception, et payer les traites de son appartement sont l'essentiel
de ses préoccupations. Or le 25 février, vers midi et quart, chez elle, elle abat à
coups de revolver le journaliste Werner Tötges qu’elle n’avait jamais vu avant.
Arrêtée pour avoir hébergé, sans le savoir, un repris de justice, Katharina était
devenue la proie du journaliste et cinq jours avaient suffi à Werner Tötges pour
détruire son honneur.
PRESSE, MEDIAS VECTEURS TRAGIQUES DE LA VIOLENCE?
Dans la préface de l'édition française, Claude Bonnefoy définit le livre de Böll comme une "fable sur la perversion de l'information et le mécanisme de la violence dans notre société". Il ajoute: "Baignant dans la fange, propagandiste évidente de la violence, la presse à sensation – ce n'est pas seulement vrai dans l'Allemagne de l'Ouest des années 70 – se pare hypocritement du masque de la morale, se pose en gardienne de la vertu et de l'ordre."
L'oeuvre d’Heinrich Böll trouve, comme toute oeuvre prophétique, de nouvelles résonances au fil du temps. Si les circonstances politico-historiques se distinguent, le langage de la presse de boulevard s’est depuis répandu jusqu’à contaminer les médias les plus classiques. La violence, l'utilisation de la calomnie et de l'humiliation, l’exploitation de faits divers sordides ou sensationnels, parfois inventés de toute pièce, la déformation de propos tirés de leurs contextes, la manchette percutante sans vérification des sources, sont autant de procédés d’une certaine presse soucieuse d’audimat qui a de plus en plus raison d'une éthique journalistique et du respect des personnes et des libertés.
PORTRAIT D'UNE CIVILISATION
Au-delà du personnage de Katharina Blum, c'est une civilisation qui perd son honneur
dans l'implacable photographie d'Heinrich Böll.
Cynisme, brutalité, manipulation et voyeurisme anéantissent chaque jour ce que
l'humanité recèle de merveilleux. Pas trace de terroriste dans le roman de Böll, mais
des attentats répétés contre la pudeur, la discrétion, la probité, et l'intégrité d'une
femme amoureuse.
Le génie de Böll est de ne pas faire de son héroïne une victime mais une femme
debout, qu'un amour soudain éveille et entraîne sur un chemin initiatique. Loin de se
laisser avilir, elle se renforce en dignité et se charge d'une violence ignorée d'elle-même.
À travers cette métamorphose, on assiste à la naissance de la violence, celle qui
surgit sans bruit de l'injustice et du déni.
Dans le film de Schlöndorff/Von Trotta, Katharina devient explicitement une ennemie de la nation, produit d'une oppression médiatique et policière.
Raviver la mémoire de cette oeuvre, c'est ranimer le souvenir des aspirations de toute une génération. Revenir sur un moment charnière de l'histoire européenne, dernier sursaut, peut-être, avant le grand engloutissement des utopies d'après-guerre.
FAIBLE FEMME / FEMME « PUISSANTE » ?
Sur le champ dévasté de l’innocence pousse la violence.
Mais le roman d’Heinrich Böll est aussi l’histoire d’une femme seule.
Réputée travailleuse, modeste et réservée, elle tombe amoureuse d’un inconnu rencontré pendant la fête de carnaval. Elle l’emmène chez elle. Au matin, son logement est forcé par une tonitruante descente de police à la recherche de l’amant inconnu qui se révèle être un délinquant. En quelques jours, l’environnement de Katharina est saccagé, souillé, emporté par une avalanche de calomnies et d’injures qui emporte aussi ses proches et ses employeurs.
Le carnaval devient le décor de tous les possibles sous couvert de l’anonymat des
déguisements. Pour Katharina, la nuit de carnaval devient le lieu de la révélation à
elle-même ; la sage jeune femme se tenant à l’écart des réalités du monde se
découvre dans une dimension qu’elle ne se connaissait pas, la passion et la violence.
Et c’est bien une passion que souffre Katharina à travers les épreuves chaque jour
infligées par le journaliste et les humiliations policières, jusqu’au terme fatal où elle
devient criminelle. Loin d’une déchéance, c’est une montée vers l’estime de soi que
vit Katharina, rendue à son statut de figure humaine, au milieu des masques sociaux
abolis l’espace d’une nuit par ceux du carnaval. L’innocence salie, polluée, violée, se
transforme en insolence vitale.
Katharina est une soeur des trois femmes « puissantes » de Marie N'Dyaie.
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