theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Jour de Tour »

Jour de Tour

mise en scène Monique Hervouët

: Intentions de mise en scène

« Un dimanche d’hiver, à la Fonderie, au Mans, le Radeau recevait un certain « Christian Prigent ». Un hommage pas tout à fait comme les autres (nous sommes chez François Tanguy !) avec soupe au chou, exposition de peintures, orchestre et… lectures par Prigent tout seul ou parfois avec sa compagne Vanda. Inouï ! Pour qui ne connaît pas Prigent, c’est l’intro la plus radicale, constituant une aventure de spectateur inoubliable, charriant dans un même flot pas net : émotion poétique, drôlerie, performance ubuesque de phénomène de foire : l’écriture-matière qui enfle «énaurme» un corps élégant et distingué d’une insoupçonnable transe. On ne peut y échapper : après ça, on dévore ses livres. Si le premier abord n’est pas aisé, l’immersion tenace vous amène vite à une jubilation inégalable.


Après ça, rien. Trop intimidée pour oser y penser pour le théâtre.


Et puis voilà que je cherche un sujet pour me porter candidate aux « Chantiers d’artistes » au Lieu Unique, en octobre 2008 : envie de profiter du confort d’un espace d’expérimentation, travailler sans avoir le souci de façonner une création à l’attente (supposée) des diffuseurs ou du public d’un territoire ciblé… c’est-à-dire se laisser aller, être soi, sans se soucier du devenir économique de l’entreprise. Le luxe de l’acte gratuit ! Dans cette totale liberté - qui donne un merveilleux appel d’air – j’ose choisir Prigent. Mais, prudente, je m’arrête (avec l’accord du maître) sur un fragment à la thématique rassembleuse : le Tour de France, alliant ainsi le populaire au savant de l’écriture. Et ce fut un régal !


L’accueil d’un public mixte (celui du Lieu Unique, celui de Banquet d’Avril, celui d’un début octobre en appétit de saisons qui commencent) à été plus unanime que nous ne pouvions le rêver. L’encouragement des quelques professionnels présents, découvrant pour la plupart l’écriture incroyable d’un Christian PRIGENT - très apprécié dans les hautes sphères littéraires mais méconnu du grand public et peu médiatisé - nous a conduit à projeter la réalisation d’un vrai spectacle à partir de cette première ébauche de 45 minutes.


Mettre en scène Prigent et le Tour de France


Intention première (jusqu’à l’obsession) faire entendre la langue : drue, faite d’un tricotage flamboyant de néologismes, allitérations, calambours, inventions syntaxiques à usage rythmique. Elle se respire dans un appétit goulu de locuteur gourmand. Complexe à mémoriser, à articuler (chapeau, les comédiens !)… un peu comme si l’on entendait à la fois Rabelais, Novarina et un paysan breton.


La posture de mise en scène s’installe radicalement derrière l’écriture. Nulle image ne peut prétendre égaler la joie de la suggestion foisonnante du texte.
Les comédiens s’en emparent en trio, davantage narrateurs « in situ » que personnages.


Le rythme du spectacle suit le rythme de la course.


D’abord, le quotidien d’un mois de juillet dans la campagne costarmoricaine des années 60 : on s’ennuie, pas plus que normalement. On regarde le ciel, on espère l’été. Et puis voilà qu’un boucan annonce du pas commun : le Tour de France passe à Yffignac (« Fignâ en local gallo péquenot », dit Prigent). Le rustique craint un peu le barouf et l’inconnu, mais à voir que tous sont là, au bord de la route, on se prend au plaisir du spectacle qu’on donne : échantillon représentatif de la communauté cantonale. Il y a ceux qui en profitent pour faire les malins, ceux qui boudent, ceux qui approchent les femmes endimanchées, et puis les élus, les militants, les curés… On s’est installé dans le paysage : pliants de camping, Meuse en litres, sandwichs pâté.


Et puis, on attend, et puis… on attend ! Le Tour de France, c’est surtout patience. Du coup, on se regarde regarder la route que l’on connaît par coeur, mais qui trouve là comme une identité sacrée.


Enfin, arrive la caravane, frénésie mercantile avec casquettes, klaxons, et Yvette Horner. Le rythme s’accélère. Grand-mère est critique : « N’achète rien, mon bicot, ça use les sous »


Encore l’attente. La route est nue. On s’impatiente quand même un peu. Et enfin c’est le peloton qui dévore le bitume en 30 secondes. Et puis c’est fini. La campagne laisse retomber la poussière, « on rentend l’oiseau » et tout le monde reprend sa vie d’habitude, hésitant entre exaltation et déception.


La mise en scène, puisant à la source d’une mémoire populaire commune, s’applique à dessiner les présences au bord de la route, à faire vibrer les corps au rythme de la compétition, de l’ennui à l’excitation, puis fatigue, mélancolie et sentiment de trop vite passé.


Un dispositif scénique plus qu’un décor pour dessiner le théâtre des opérations. Aucune illustration si ce n’est celle émanant du corps des locuteurs respirant au plus près le « souffle » exceptionnel de la langue Prigent. »

Monique Hervouet

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.