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Jour de Tour

mise en scène Monique Hervouët

: Le souffle de la poésie

« La poésie se dit dans un souffle, c’est-à-dire dans ce qui souffle devant nous les figures du monde : les pulvérise, en défait les contours codés, les remet en jeu et en vie comme mouvement d’apparition. C’est donc peu de chose : « Un souffle autour de rien », dit Rilke ; « émanations, explosions », disait, plus grinçant, l’ultime Rimbaud pétomane. Mais c’est tout, aussi : c’est incarner la langue dans l’intranquillité du corps qui forme ce souffle et se forme, re-né, ré-animé, en lui. Forcément, ça n’a pas lieu beaucoup, ni longtemps. Petits coups de liberté sporadique, bols d’air parcimonieux dans l’asphyxie des langues que l’usage communautaire (« l’universel reportage ») pollue.


Comment souffle ce souffle ?
Il souffle d’abord au rythme d’une sorte de course de vitesse contre la fermeture stabilisée des significations : je trace un mot, son signifié, tend à la recouvrir - et le chromo du monde se reconstitue ; j’en trace deux : de la phrase se forme, obstinément affairée à bloquer le phrasé. Mais il souffle tout autant dans une course contre cet évincement radical des représentations (du sens en formation) que serait l’adhésion de la forme à elle-même : je pose un son syllabique, l’écho répond – et une musicalité imbécile vient ronronner à la place du défi contradictoire des figures et des affects ; je formalise une scansion – et le métronome prosodique vient tout idiotement mécaniser. Le souffle est une sorte de produit anti-coagulant. Sauf qu’il n’est pas (il ne s’agit pas, évidemment, « d’inspiration »). On dit souffle un peu paresseusement, par métaphore météorologique (la salubrité du vent) ou habitude culturelle (le poète comme trou par où souffle le dieu taquin). Le souffle dont je parle ne consiste que dans un ne-pas, dans une résistance (à la coagulation de la forme et du sens), dans une hésitation systématique, dans un évidement négatif.


Rien de plus concret, cependant : on traite un matériau (la langue), on fait avec – c’est-à-dire qu’on tient compte du signifié, pas si compliqué. On travaille les tempos non figuratifs de la langue (le signifiant phonique et ses engrenages allitérés, la lettre comme emblème graphique, le nombre qui norme les portées rythmiques…). Avec ça on fait des ondes (des mouvements syllabiques corpusculaires), un phrasé abstrait (une musique ? – soit mais pas une harmonie, plutôt une structure comptée – comme au temps où Musique et Mathématiques allaient ensemble dans les enseignements). Ce que j’appelle « voix », c’est cette ondulation, la portée de l’onde, son hésitation méthodique, sa négativité. (…)


Le tout est que ça ondule entre pur hors-sens (musicalité et rythmique) et sens donné (mimesis et expressivité) – et que ça étonne, anime et efface : que ça souffle ce quelque chose d’impur et de déformé qui est ce par quoi la poésie au bout du compte, quand même, nous (in)forme du monde. »


Extrait de Entretien avec Hervé Castanet (« Il Particolare »)
Christian Prigent - 2007

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