: Auto-interview
réalisé en 2019
Si vous deviez résumer en quelques mots ce projet de création, que diriez-vous ?
Hugo Vercelletto (H.V.) – C’est l’histoire
d’une amitié mise à l’épreuve de
l’engagement politique. Deux amis dont
l’un d’eux s’engagera fortement pour la cause palestinienne. Il voyagera entre la
France, Israël et la Palestine. Il ira peut-
être trop loin dans son engagement.
Il y laissera des plumes, peut-être
même sa vie. Nous avons à coeur de
raconter le parcours d’un activiste. Les
questionnements qui l’habitent seront
proches de ceux d’un militant pour le
climat, de la ZAD ou pour les migrants.
Comment changer le monde ? Au-delà du conflit Israëlo-Palestinien, c’est une
dimension contemporaine de la lutte qui
nous intéresse ici d’atteindre.
Cette nouvelle création clôturera, après Frères et Camarades, un cycle de trois spectacles sur l’engagement, les utopies et l’héritage. Que souhaitez-vous dire de plus sur ces thématiques ?
Benjamin Ducasse (B.D.) – J’aimerais
que l’on raconte ce que c’est que
d’être dans le militantisme. C’est
quoi la vie de quelqu’un qui milite.
Les états émotionnels et la notion
d’épanouissement dans les activités
d’un militant m’intéressent. Après avoir
raconté la formation d’un engagement
dans Camarades, j’ai envie de voir ce
qu’il provoque chez l’individu. Je veux
raconter ce qui est à l’œuvre lorsqu’on
milite toute la journée, lorsqu’on
s’engage corps et âme pour une lutte.
J’aimerais montrer la peur, la révolte, le
soulagement, la persévérance...
H.V. – La radicalisation de l’engagement
est un aspect qu’il m’intéresse de
questionner. Un engagement peut-il aller
trop loin ? Jusqu’où faut-il aller pour
avoir gain de cause, pour être entendu ?
Donner sa vie pour une lutte, est-ce de
la folie ou de l’abnégation ? Se poser la
question de l’engagement aujourd’hui,
c’est aussi se poser la question de
ce que nous laissons aux générations
futures. Quel héritage transmettrons-
nous ? À l’heure d’un pessimisme
médiatisé sur l’état de la planète, sur
les extrémismes religieux et les conflits
armés, les dérives sécuritaires, le repli
identitaire ou l’ultralibéralisme : quelles
issues pouvons-nous imaginer ?
Comment garder un certain optimisme
pour les générations à venir ? Comment
faire en sorte que nos enfants aient à leur
tour des utopies ?
Il s’agit donc d’aborder votre génération face à ces thématiques. Comment aborderez-vous cet aspect ? L’écriture sera-t-elle plus personnelle, basée sur votre propre histoire ?
B.D. – Ce conflit (Israélo-Palestinien) a toujours été présent dans mon histoire. Depuis tout petit, je vois des images à la télévision, j’entends des informations à la radio, je connais des camarades qui partent voyager sur place. Petit, je ne comprenais pas les enjeux du conflit. Aujourd’hui, c’est plus net, mais pas tout à fait clair non plus. Le fait que mon meilleur ami parte là-bas et qu’il soit confronté à la violence de la situation me rapproche soudainement du sort des opprimé·es. D’un coup, je me sens concerné. J’ai moi aussi envie d’y aller, de comprendre, de faire quelque chose. L’histoire de Lauriane (une connaissance « ex-militante pro-palestinienne ») pourrait être la mienne. Je me sens proche d’elle, de son milieu familial, de sa géographie, de ses idéaux, de ses idées politiques, de ses utopies.
Comment comptez-vous relier le voyage d’Hugo Vercelletto à l’écriture de votre fiction ?
B.D. – Ce qui m’a plu dans le récit du
voyage d’Hugo, c’est sa fausse naïveté
face à des situations extrêmement fortes
en émotions. Je trouve que ce que nous
faisons dans nos spectacles est proche
de cela. Nous sommes experts dans
notre sujet, mais nous faisons semblant
de le découvrir.
Ce n’est pas son voyage que nous allons
relier à notre fiction, c’est notre fiction qui
va s’inspirer de son voyage. Hugo nous
apporte la légitimité de parler de ce qu’il
a vu. Nous parlons en connaissance de
cause.
H.V. – La figure du candide est un
élément que j’ai envie de conserver
de mon voyage. Le voyageur naïf qui
découvre une situation qui le dépasse,
qui raconte simplement ce qu’il voit, ce
qu’on lui raconte, ce qui le touche, sans
prendre parti. C’est aussi la toile de fond.
Durant la création de Joueurs, nous
envisageons de faire un nouveau voyage
en Palestine pour nourrir notre processus
de création. Découvrir, entendre,
questionner, gouter, s’imprégner des
paysages, du rythme des rues, de la
sonorité des langues, interviewer des
habitant·es, des militant·es, découvrir
par nous-mêmes une réalité de terrain.
Si notre théâtre emprunte au travail
documentaire, cette création empruntera
quand à elle au journalisme de récit.
Est-ce que l’histoire se déroulera uniquement en Palestine ? Avez-vous des pistes lieux d’actions pour votre intrigue ?
H.V. – J’aimerais que le personnage passe par Tel-Aviv et Jérusalem du côté israélien, dans la vieille ville de Jérusalem, dans des camps de réfugiés palestiniens à Bethléem ou à Naplouse, dans les colonies israéliennes au coeur de la vieille ville d’Hébron, dans des villes importantes de Cisjordanie comme Ramallah et Naplouse et peut-être dans la bande de Gaza. Du côté français j’imagine l’histoire entre Nantes et Paris.
B.D. – Paris est un haut lieu du militantisme pro-palestinien et cela m’intéresse de voir ce qui se passe de plus près dans cette ville au niveau des réunions politiques. Comme dit Laurianne : « Ça rigole pas à Paname. Ils savent de quoi ils causent et tu te pointes pas aux réunions avec ton kéfié et ta fleur au fusil parce que la L.D.J. [Ligue de Défense Juive] est jamais loin et c’est pas des bisounours. » Oui Paris m’intéresse, car tout part de là-bas. C’est à Paris que l’on prend l’avion et que l’on atterrit. Le contraste avec la Palestine est toujours choquant pour les voyageurs.
H.V. – Le territoire Israélo-palestinien nous intéresse, car il concentre beaucoup de maux de notre société contemporaine : sécuritarisme, terrorisme, extrémisme religieux, radicalisation, colonisation, rejet de l’autre, xénophobie, lutte pour l’eau et pour la terre, construction d’un mur entre deux peuples. Il vient questionner notre faculté à vivre ensemble.
B.D. – Je crois aussi que la Palestine est
un endroit qui me passionne pour tout
ce qu’elle véhicule. La concentration
des lieux religieux me fascine. Israël
est aussi le laboratoire sécuritaire du
monde entier. C’est une démocratie
dont le gouvernement actuel tire vers
l’extrême droite. Il y a des analogies
à faire avec la France. Il y a aussi un
imaginaire : une terre rouge, des oliviers
à perte de vue, des colonies de pavillons
implanter un peu partout sur les collines
cisjordaniennes. Le mur de séparation, le
mur des Lamentations, les checkpoint,
les files d’attente, les voyages en taxis
sur les routes poussiéreuses, les maisons
palestiniennes en briques de terres
cuites, les camps de réfugiés sont autant
d’images exotiques et contradictoires.
J’ai envie de faire entendre le bruit du
muezzin après celui des hauts parleurs
de l’aéroport israélien.
Dans vos précédents spectacles, vous racontez un parcours de vie. Ce sera toujours le cas ?
B.D. – Je souhaite observer ce que les engagements provoquent intimement chez ce militant. Comment ses utopies l’obligent à sortir de sa zone de confort ? Comment se retrouve-t-on à faire des choix imprévisibles ? Je souhaite montrer comment une expérience de cinq ou dix ans bouleverse une existence ou une personnalité. Je souhaite montrer le moment du virage plutôt que la formation d’une pensée. Je veux montrer ce que l’engagement provoque, et non ce qui provoque l’engagement.
H.V. – Cette histoire démarrera quand nos personnages auront 20 ou 25 ans, à un âge où tout parait encore possible.
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