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Jackie

mise en scène Pauline Laidet

: Notes de mise en scène

Jackie by Jackie…


Je préfère être raccrochée à toutes ces images de moi et trainée derrière elles, ainsi je n’ai besoin de ne m’occuper de rien. (p.66)


Jackie Kennedy, s’adresse à nous dans une logorrhée étrange. Elle est morte, mais sa voix reste bien vivante et se rappelle à nous dans l’urgence de ne pas oublier. Ne pas l’oublier.
Ne pas s’oublier elle-même.
Une flamme légère et brûlante sous une carapace.
Elle nous parle avec cette contradiction là : Une vitalité folle, un humour souvent coriace, mais aussi une fragilité, une blessure béante qu’elle panse sous ses vêtements précieux et délicats.
Jackie entre en scène, à la fois pudique et provocante, elle se montre et dévoile ses coutures, et on y voit notre image, on entend notre propre écho. Celui, intérieur, de notre folle envie de rester debout. Et d’en rire.


« Jackie » est un spectacle qui s’amuse avec cette icône, cette princesse Kennedy, qui incarne l’élégance, la féminité et la famille, et qui en même temps, en révèle les coutures intérieures et douloureuses.
Un spectacle qui pose les questions de l’image de soi : que choisit-on de dévoiler ?
Il y a cette femme… Jackie, ou serait-ce le souvenir d’elle-même, ou encore le fantasme d’elle-même ? Elle dessine sa silhouette, celle qui restera à jamais dans « la mémoire des gens », pour l’éternité, mais qui l’emprisonne et l’étouffe.
Jackie est seule, elle se revoit vivre ces moments de grâce et d’élégance qui la définissent.
Elle rêve au plus juste de sa propre représentation, elle donne à entendre sa vie, les bribes qui lui restent. Cette vie publique donnée en pâture au monde, à la presse avide, et pour finir…
mourir à soi-même. N’être plus qu’une icône.
Ce qui m’intéresse, c’est l’insatiable lutte de cette femme avec son image. La maîtrise d’ellemême a remplacé sa vie même.


Simplement vouloir être, oui, seulement vouloir être et en plus vouloir être gardée, ce n’est pas possible. (p.94)


Mais le langage ouvre des brèches. Petit à petit, elle règle ses comptes avec les Kennedy, avec son éducation, avec le public qui a fait d’elle cette image figée, au dépend d’elle-même.


Si je choisis de le jouer moi, donc de faire revivre cette « Jackie » non pas à la fin de sa vie mais à l’âge de 30 ans, c’est précisément parce qu’il me semble important qu’elle nous donne à voir le « fantasme » d’elle-même. Elle vient nous parler et prend la forme de cette Jackie - icône, à l’âge où elle arrive à la Maison Blanche, et où sa mythologie se construit. Pour moi c’est très important de ne pas être dans la reproduction exacte de Jackie Kennedy, mais plutôt de créer un décalage qui donne à entendre dans toute son ampleur ces codes d’apparences et l’importance du paraître. Ainsi je jouerai avec quelques éléments très reconnaissables de Jackie : le tailleur, la perruque, pour petit à petit déconstruire cette figure de magazines, et laisser apparaître ce qui dérape : les fêlures, la solitude, la perversion de cette image qui l'enferme jusqu'au bord de la folie.
C’est ainsi que cette confession un peu extra-ordinaire met en perspective ce mythe « presque parfait » et le déjoue : une sorte de « Jackie by Jackie » qui tourne à l’obsession.


Il y a une part d’enfance dans cette Jackie, et c’est là que nous nous reconnaîtrons : jouer à être soi, jouer à être ce que nous rêverions d’être et y croire de plus en plus, rêver. Elle sera en dialogue avec sa propre représentation sur une couverture de magazine, elle convoque les images d’elle-même qu’elle aimerait nous montrer. Le spectacle peut alors commencer. Elle crée son « Jackie by Jackie ».


Je n’ai même pas été capable d’atteindre le morceau de crâne sur le coffre de la voiture où j’avais grimpé. Le lendemain je ne m’en souvenais plus. Je n’ai jamais voulu fuir. Je me souviens seulement que je pouvais voir une partie de l’intérieur de son crâne. (p. 77)


Ce monologue est en réalité un dialogue intérieur livré comme une confidence, mais qui creuse ses brèches et ne fait que révéler ce vide immense, cette solitude et ce besoin de se rappeler à nous dans tout ce qui constitue son identité. Ce public à qui elle s’adresse, est fictif. Il n’est là que comme un prétexte, pour combler cette solitude. Elle s’adresse à nous, mais nous serons les témoins de sa prise de conscience que nous n’étions que le fruit indispensable de son imagination.


Le travail sur le corps,


Tout est incertain, c’est pourquoi je parais si sûre. Une femme au fond si incertaine que moi qui parait sûre dans le système Monde. On nous demande de nous endurcir, nous les célébrités, et on s’endurcit pas mal non plus ! Montrer ses jambes, nulle n’a encore osé le faire. (p. 81)


Je donnerai au corps une importance primordiale, comme un double langage : alors que la voix tente de nous convaincre, le corps donnera à voir ce qui lui échappe. Ce qui m’intéresse, c’est cette bataille intérieure entre ce qu’elle choisit de montrer et le monstrueux qui émerge malgré elle.
C’est très important de créer un contraste entre l’image du mythe et ce souffle terrible et vertigineux qu’insuffle Jelinek dans son texte. Désarçonner le spectateur par rapport à ses attentes face à cette « icône » si reconnaissable.
Je m’amuserai à travailler sur des postures, des détails propres à « Jackie », pour les attirer peu à peu vers une étrangeté du corps, une distorsion. Comme si sa silhouette, dessinée par ses vêtements, se déformait progressivement, et que le corps ne parvenait plus entièrement à se contenir lui-même.


L’espace,


Dans toutes ces averses de flashs, sans aucune intimité, je suis tout à fait intime en étant tout à fait publique, l’un n’enlève rien à l’autre (p.94).


Nous sommes dans l’espace mental de cette Jackie Kennedy post-mortem.
Le plateau est le point névralgique des obsessions de Jackie. Les spectateurs en sont les révélateurs.
L’espace est pratiquement vide : une grande bâche blanche tombe des cintres jusqu’au sol et un tabouret blanc. Elle, est vêtue de noir. Sa perruque, son tailleur Chanel, ses chaussures… Elle est en deuil. Le deuil de sa vie entière qu’elle porte « comme un batelier des bords de la Volga tire son bateau », nous dit Jelinek dans sa première didascalie.
On est dans un univers presque photographique.
La lumière aussi est d’une froideur glaçante, d’une blancheur cadavérique.
Je tiens à ce que Jackie ne porte pour unique accessoire que son petit sac à main dans lequel elle cache avec précaution le dernier vestige de sa vie, protégé à l’intérieur d’un bocal en verre : un morceau du cerveau de John qui avait explosé sur son tailleur Chanel lors de l’attentat à Dallas. Les seules couleurs dans cet espace de la mémoire, sont celles de la revue people qui a dévorées sa vie, son intimité, et le rouge-sang dans le bocal.
Jackie est enfermée dans cet espace blanc. Voile de bateau à la dérive ? Couloir d’hôpital ? Chambre d’isolement ? C’est son lieu de représentation, elle reste dans ces limites dessinées au sol, et je jouerai sur cette tentation d’en sortir. Il y a cette frontière entre le dedans et le dehors, entre ce qui est voilé et ce qui est montré, c’est sur ce fil ténu qu’elle jongle avec les mots et les souvenirs.


Ce texte trouve toute sa résonance et sa force dans une configuration de l’intime. C’est un projet que j’ai pensé comme une confidence un peu « extraordinaire » de ce personnage public encore présent dans la mémoire de chacun. « Jackie » est un spectacle à la fois extrêmement simple techniquement, mais qui propose une réelle densité de son propos. Il acquerra ainsi sa portée politique et humaine s’il se joue dans un rapport de proximité, parfois même gênante, avec les spectateurs. Jouer avec les limites du « trop » près, mêler l’espace de la scène et celui du public.


L’équipe,


On a presque plus parlé de mes vêtements que de moi.
Et ça, ça veut dire quelque chose. C’était mon écriture mes vêtements. Mes vêtements étaient plus individuels que mes paroles, vous comprenez ? (p.76)


Je voulais, avec « Jackie », donner à entendre cette parole sensible mais sans sensiblerie qui m’émeut tout particulièrement. Donner à entendre cette vie mythique et dévastatrice qui laisse place à une terrifiante solitude. Ce n’en est pas pour autant un projet solitaire. C’était extrêmement important pour moi d’être accompagnée de regards bienveillants et constructifs. Ce spectacle est donc le fruit de plusieurs imaginaires, et n’aurait pu exister sans les essentielles interventions de :
Pulchérie Gadmer, dramaturge et metteur en scène.
Axelle Mikaëloff, chorégraphe.
Joanna Szuber, comédienne.
Charlotte Duran, comédienne.

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