Les tableaux, couvrant plusieurs générations, se succèdent, s’entrecroisent, se chevauchent parfois sans jamais nous perdre. La construction de la pièce est très fluide et pourtant ni linéaire ni simple. Les motifs récurrents, les allers-retours dans le temps, la succession des lieux, les longueurs variables des scènes, la démultiplication des personnages (Jeanne/Jahanne, Simon/Sahane, Nawal aux différents âges de sa vie), la superposition d’un récit hyper-contemporain (avec téléphones portables et walk-man) et d’un très ancien canevas intertextuel (Œdipe Roi de Sophocle) organisent une œuvre complexe revendiquée toutefois comme intuitive et qui reste totalement limpide et touche au cœur.
Il y a du rythme dans cette partition écrite par un metteur en scène très attentif aux voix des acteurs, leur hauteur, la musique qu’elles produisent. A travers toute l’œuvre, en filigrane, l’humour et l’optimisme sont la signature d’un esprit foncièrement ouvert et généreux.

Notons que le parti pris de mise en scène, c’est-à-dire le développement d’un chantier (« comment fait-on pour raconter ? » ) au vu et au su des spectateurs qui, en quelque sorte y participent, induit un démantèlement-reconstruction du texte. Cette démarche de réappropriation par les acteurs est cautionnée par Wajdi Mouawad qui procède lui-même de la sorte pour l’élaboration du texte initial.