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Illusions

mise en scène Julia Vidit

: Intention de mise en scène

Nous aimons aimer, nous aimons que d’autres aiment, et c’est pourquoi nous aimons les histoires d’amour.
En voici quatre, donc :
Dennis et Sandra, Albert et Margaret : Ces deux couples aiment, s’aiment, se sont aimés, désirés, trompés, trahis. Margaret, la femme au solide sens de l’humour, résiste à Dennis et ne supportera pas l’abandon d’Albert. Toute sa vie Dennis a été le mari fidèle de Sandra sans cesser de désirer Margaret. Alors qu’il a tout gâché, Albert s’aperçoit qu’il a toujours aimé Margaret. Sandra a aimé Albert à travers son amour pour Dennis.


4 personnes. 4 façons d’aimer avec son cortège de cavales du désir, de sarabandes de contradictions, de certitudes évanouies. Toutes les apparences d’un feuilleton américain, à dévorer goulûment.


Une bluette certes, mais racontée par ceux-là mêmes qui devraient commencer leur vie de couple, qui sont en âge de s’aimer, de construire, de se reproduire.
Ils sont là, individus, individuels au milieu de l’espace.
Un espace qu’on imaginerait sublime, toujours en mouvement, calme et dangereux, insaisissable.


« Y-a-t-il une constance dans ce cosmos changeant ? »


Le témoignage des octogénaires rapporté par les jeunes présences est une somme d’aveux où l’on retrouve la violence de l’orgueil, la tragédie de l’incompréhension mutuelle. En écoutant ce témoignage, on est concerné malgré nous et la question nous taraude alors. Qu’ai-je vraiment vécu ? Que voudrais-je vivre encore ?


Partager le vertige


Les allers - retours entre réalité et fiction, vrai et faux, vécu et fantasme fabriquent un état chez les acteurs et chez les spectateurs. Illusions est aussi une ode au vertige que produit parfois la représentation. Grand huit théâtral qui nous fait perdre nos repères, ce jeu nous met fasse à l’impossible vérité de la vie et nous permet, en vivant une expérience sensible, si ce n’est de l’accepter, au moins de partager la question, de dédramatiser ensemble. Si le spectateur d’Illusions est assis dans les règles de l’art théâtral, bien en face, s’il est pris en main par les quatre narrateurs qui lui raconte ces histoires-là, il est envahit par un trouble. Car ce quatuor de trentenaires ne procède pas chronologiquement, ils tournent, sautent, dansent d’un rôle d’octogénaire à celui de récitant, accumulent les détails, suppriment des informations auxquelles nous avions crues, heureux de croire que nous détenions enfin une certitude !


Les anecdotes se succèdent en séquences, stérilisées par la mise à distance des voix qui les portent. Tenus en haleine, nous tentons de les assembler pour constituer une logique, une réflexion valable, quelque chose auquel on pourrait se raccrocher.
Nous vivons alors dans notre intimité, le bouleversement en direct : une expérience sensible, résolument contemporaine que je souhaite traduire le temps d’une représentation.


Vertige de l’amour


Mes circuits sont niqués, il y a un truc qui fait masse
L’courant peut plus passer
Non mais t’as vu c’qu’ils passent,
J’veux l’feuilleton à la place !
Oh oh, vertige de l’amour.
Alain Bashung


Le thème de l’amour est-il un prétexte ou l’idéal appropriation au vertige ? En parlant de l’amour, c’est au fond la question de la vérité que Viripaev souhaite nous poser. Et avec elle, celle de notre lucidité, de notre capacité à nous illusionner, de notre vain désir de réponse absolue.


Quatre voix


Qui nous parle? Qui sont ces protagonistes dont parlent les quatre présences? Parents ou héros inventés ? Sont-ils des dinosaures survivants d’une ère disparue pour avoir aimé 54 années durant ? Face à nous, pour nous, ils exhibent l’intimité de gens admirablement ordinaires comme on fait resurgir un vase précieux pour y traquer les vestiges d’un passé résolu quoiqu’ exemplaire où la valeur Amour avait un sens.
Avec des mots simples, une langue fluide, parfois teintée d’ironie ils déposent un constat.
Car « Ils sont entrés uniquement pour raconter les histoires de deux couples mariés. »
Ils sont quatre voix qui érigent quatre histoires en mythe. Et la trajectoire de ces deux couples devient un conte philosophique. Anecdotes après anecdotes, la narration se fabrique et proposent de l’invisible, de l’indicible, de l’inimaginable. A mesure qu’ils nous livrent des révélations, notre certitude vacille.


« Y-a-t-il une constance dans ce cosmos changeant ? »


Ils font parfois des pauses comme pour reprendre leur souffle, pour nous laisser reprendre le nôtre, pour boire un verre d’eau !
Ces arrêts de jeu, irruptions incongrues du réel dans la fiction, sont comme une feuille de salade coincée dans la canine que l’on aperçoit avant un baiser ! Ces chocs de réalité décalent brutalement notre appréhension de nous-mêmes, de l’autre et du monde. Percée de la trivialité dans notre rêve d’éternité.
Porte-parole d’une génération transpercée par le souci de transparence, ils demeurent, restent encore sur les rangs de la quête d’un amour absolu. Seulement, ils parlent d’absents, de vies conclues et terminées, de destins achevés. Et leur conscience que seule la mort se présente en guise de conclusion et que quoique l’on fasse, veuille, rêve, espère, cette vérité incontournable et tragique constitue nos vies.


Des êtres dans le sublime


Illusion :
Nom féminin singulier
Erreur des sens
Erreur de l’esprit qui fait prendre des apparences pour des réalités
Apparence dénuée de réalité
Expressions
Faire illusion : donner une apparence de soi trompeuse
Se faire des illusions


Espace sublime
En s’inspirant des oeuvres lumineuses de James Thurell ou de d’Ann Veronica Janssens, il m’importe de concevoir un espace dont les contours et le cadre transposent une idée d’infini.
Mettons quelques humains dedans, se débattant avec les reflets, les ombres projetées de leurs partenaires, les reflets déformant de leur propre image. Nuées, halos.
Procurons leur quelques outils de travestissement : caméra et micro afin qu’à l’improviste, ils se déforment et s’inventent en direct.
L’infiniment grand rejoint l’infiniment petit d’une larme qui coule.


Perturbation
Nous voulons perturber la perception, bouleverser les sens, proposer un repère visuel ou sonore puis le confisquer. Il y a ce qui se voit et ce qui échappe. Signifier un invisible opérant à l’insu du spectateur, à l’insu des acteurs. A moins que ce soit l’inverse. Art cinétique, magie ?


Ce texte m’a plu pour le changement de perspective qu’il propose. On trompe et on se trompe mais toujours nous voulons aimer. Demeurer joyeusement dans la question, c’est ce que le texte de Viripaev nous propose. Et nos sortons du spectacle, rompus mais plus humains.

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