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I am Europe

+ d'infos sur le texte de Falk Richter
mise en scène Falk Richter

: 2/2 - Discussion entre Falk Richter et Nils Haarmann

Nils Haarmann : Tu travailles avec le chorégraphe Nir de Volff, le corps joue donc aussi un rôle dans la mise en scène. Peut-être pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet, à propos du rôle du corps dans le spectacle, à travers la danse, le mouvement et par rapport à ces histoires très personnelles, ces textes, ces moments biographiques ? Est-ce qu’il s’agit d’une troupe de danseurs ? De quelle manière la danse rencontre-t-elle le travail biographique et aborde-t-elle ces sujets qui nous occupent en Europe ?


La danse, le mouvement, permettent d’aborder ces questions de manière très personnelle sur scène. La manière dont quelqu’un se déplace, dont il respire, dont son corps est bâti, est toujours absolument unique et personnelle. Ce qui est particulier ici, c’est que la troupe est composée de comédiens, de danseurs et de performeurs.


(...)


Je trouvais cela intéressant d’avoir une troupe qui ne soit pas uniquement composée de comédiens, d’avoir un véritable mélange. En réalité, il ne s’agit pas de savoir exécuter parfaitement un mouvement, mais plutôt d’expression corporelle et de toutes ces questions qui peuvent se manifester physiquement, comme les peurs, les angoisses ou peut-être les fissures présentes dans la société européenne – comme la peur du déclin social. En ce sens, la danse – ou bien la corporalité – représente une autre dimension du spectacle et Nir de Volff travaille beaucoup sur la respiration, donc sur l’intimité, le corps intime de chaque interprète, ce qui correspond parfaitement à ce type de travail sur le texte, lui aussi très intime. Certaines histoires sont très personnelles, par exemple lorsque qu’une personne raconte sa relation avec son père ou son rapport à la religion, ou encore son coming out. Ce sont des histoires personnelles qui sont mises en mouvement grâce au travail physique proposé par Nir.


En plus de Nir, il y a toute une équipe de collaborateurs et collaboratrices artistiques, dont certains avec qui tu travailles depuis très longtemps. Qui sont-ils et comment s’engagent-ils dans ce processus ?


Il y a toi, par exemple, Nils Haarmann. Ton travail consiste à accompagner l’ensemble du projet, à ajouter des idées, à rechercher des textes sur l’Europe ou à en discuter avec moi. Notre travail va consister à débattre entre nous de ce qui est le plus intéressant dans ces histoires racontées pendant les répétitions : lesquelles choisissons- nous ?


(...)


C’est sans doute le plus grand défi : comment amener quelque chose de personnel sur scène sans tomber dans la confession ou la thérapie – pour que cela devienne véritablement un matériau théâtral et littéraire ? Comment l’intime peut-il se transformer en matériau littéraire ? Il y a également Katrin Hoffmann, la scénographe avec laquelle je travaille depuis plus de vingt ans, elle crée des espaces pour mes textes. Elle réalise le décor et les costumes, elle a également travaillé avec moi sur Je suis Fassbinder et My Secret Garden, les deux spectacles que j’ai créés en France avec Stanislas Nordey. Ensuite, il y a le vidéaste Aliocha Van der Avoort, c’est un artiste formidable, qui travaille avec beaucoup de sensibilité et de poésie, et Matthias Grübel qui se charge de la musique. Et ça aussi, c’est intéressant : Matthias travaille individuellement avec chaque interprète. Parfois, il s’agit de trouver le morceau qui a une signification particulière pour chacun. Quelle histoire y a-t-il derrière telle chanson ? Y a-t-il des chansons traditionnelles que leurs grands-parents leur ont peut-être chantées mais qui sont aujourd’hui perdues ? Il s’agit d’interroger la tradition européenne à travers la musique. Matthias Grübel, qui fait lui-même de la musique électronique, travaille beaucoup à partir de morceaux populaires. La musique pop transporte toujours une histoire, une émotion, une dimension personnelle.


Peut-être que je peux te poser une question pour terminer.


Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce projet ? Qu’est-ce qui est particulier lorsqu’on ne part pas d’un texte déjà écrit mais que l’on travaille avec sept excellents interprètes ? Que pouvons-nous espérer ?


Nils Haarmann :_ Il y a différentes choses. Depuis 2014, j’ai pu accompagner tous tes ateliers, les deux à Venise, à Madrid, Paris, Berlin. Il y en a également eu un à Tel Aviv. Cela s’est déroulé sur une période de quatre années au cours desquelles plusieurs personnes sont restées avec nous, d’autres se sont ajoutées au fil du temps. C’est donc une troupe qui n’est pas fixe, mais fluide, perméable, à laquelle de nouvelles voix se sont ajoutées. Au cours de ces quatre ou cinq années, nous avons constaté à quel point les contradictions se sont intensifiées en Europe, à quel point la montée de l’extrême droite, la menace du fascisme, du fanatisme religieux, du terrorisme, du repli sur soi également, sont devenues plus grandes. Je crois que nous l’avons remarqué très tôt car nous avons toujours travaillé avec des groupes dans lesquels la sensibilité à ces sujets était très forte. C’est aussi une génération qui parle – les plus âgés ont la trentaine tout au plus, tous viennent de pays différents, il y a beaucoup de voix queer, de femmes très émancipées également, beaucoup ne sont tout simplement pas issus de la classe moyenne blanche. Depuis le début, et de façon de plus en plus concentrée au fil des années, nous avons constaté qu’il y a aussi une prise de conscience qui fait face à cette montée de l’extrême droite, à cette menace, à cette force centrifuge qui menace de déchirer l’Europe. Cette prise de conscience est croissante et je trouve cela passionnant que l’on puisse, dans le cadre d’ateliers courts mais intenses, travailler sur une longue période et en profondeur avec un groupe, qui n’est justement pas homogène, qui porte en lui des contradictions, qui est polyphonique, avec des expériences de vie très différentes qui sont toujours beaucoup plus complexes que les définitions et les modèles exigés par la société ; un groupe qui jette un regard actuel sur l’Europe.


(...)


Falk Richter : Ce qu’on peut dire, c’est que nous vivons une époque menaçante pour la démocratie, pour la société démocratique, à un point que je n’ai jamais vécu auparavant.


Et je trouve qu’un aspect important de ce projet consiste aussi à parler d’utopies ou d’idées possibles. Il y a d’autres idées à développer, à savoir comment sauver cette planète sur laquelle nous vivons, comment nous comporter pour que tout ne soit pas détruit dans quelques années, ou comment envisager de nouvelles formes de solidarité entre nous ? Quelles sont les idées utopiques ou même les idées politiques réelles dont nous disposons ? Et comment les formuler ? Comment les formuler au sein d’un spectacle ? C’est une approche à petite échelle, on ne va pas tout de suite inventer un nouveau marxisme, mais il suffit de regarder quelles sortes d’idées microcosmiques existent déjà. Je trouve aussi cela très intéressant parce que je crois que beaucoup d’artistes agissent, pensent et ressentent leur vie différemment, de manière plus solidaire, plus durable.


  • Falk Richter et Nils Haarmann
  • Entretien réalisé le 2 avril 2018 à Berlin
  • Traduit de l’allemand par Charlotte Bomy
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