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Graal Théâtre - Gauvain et le chevalier vert

mise en scène Julie Brochen

: « La question du jeu rejoint celle du je. »

Propos recueillis par Fanny Mentré

Gauvain et le Chevalier Vert est le troisième volet du Graal Théâtre qui en comprend dix au total. Joseph d’Arimathie relatait le péché originel, l’inceste et la naissance de la chevalerie céleste. Merlin l’enchanteur marquait la naissance de la chevalerie terrestre avec l’accession au trône d’Arthur et la création de la Table Ronde.
Après ces deux épisodes fondateurs, s’ouvre une trilogie consacrée aux aventures de trois chevaliers : Gauvain, Perceval et Lancelot.


La majorité des gens situe plutôt aisément les personnages de Perceval et Lancelot, ne serait-ce que dans les grandes lignes : Perceval est perçu comme un jeune homme naïf et instinctif, qui a grandi dans les bois et a tout à découvrir de la chevalerie. Lancelot est lié à l’univers du lac, et l’on pense à lui comme à l’amoureux de la reine Guenièvre.
Gauvain est un personnage moins connu. Son parcours peut paraître beaucoup plus mystérieux, voire aléatoire, car il est le précurseur de toutes les aventures et quêtes à venir.
Il est le premier à relever un défi lancé à la cour du roi Arthur, le premier à prendre la route et à s’offrir au monde. C’est en cela qu’il est considéré comme « le père des aventures » malgré son tout jeune âge. Il y a quelque chose de très adolescent chez lui, dans le sens où il s’offre tout entier à son idée de la chevalerie alors qu’il ne connaît encore rien du monde.
Au début de l’aventure, il est le neveu préféré d’Arthur et a été choisi par la reine Guenièvre pour être son « premier chevalier ».
C’est donc tout naturellement qu’il s’offre en « premier » à relever le défi qui se présente et dont il ne connaît pas la teneur. Il découvre alors qu’il lui faudra, un an plus tard, accepter de se faire trancher la tête…


C’est donc par une promesse de mort que commence son aventure. Mais étrangement, il semble qu’il n’en ait pas totalement conscience, comme si ce laps de temps d’un an qui lui est offert lui semblait pouvoir s’étirer en une petite éternité.
C’est tout le paradoxe de ce personnage : il est à la fois le plus déterminé et le plus courageux et en même temps son parcours est entièrement dépendant du hasard des rencontres qu’il fait. Il est tellement habité par le respect des codes de la chevalerie qu’il « bifurque » sans cesse de son chemin pour répondre à des demandes de gens qu’il croise.
Parce qu’il veut être et rester « droit », il est ballotté de part et d’autre, se voyant même, à un moment, obligé de revenir à son point de départ avant de repartir.
Cette notion de « jeu » est omniprésente. Un jeu dangereux car tous ces écarts qu’il fait empiètent sur le temps qui le sépare de sa mort annoncée.
Ce qui est saisissant, c’est que son histoire semble avoir déjà été écrite avant qu’il ait eu le temps de la vivre ou la penser. Partout elle le précède. La question du « jeu » rejoint celle du « je ». Gauvain ne dit jamais son nom, mais chaque personne qu’il croise lui parle d’un « lui » fantasmé et réel à la fois. Il semble toujours à rebours de sa propre histoire, comme s’il devait l’écrire en fonction du récit des autres, se « conformer » à ce qu’on dit de lui. Il a à peine vécu mais est déjà une légende. Il se construit alors en fonction de ce qu’on lui renvoie, des échos de son histoire, avant de se questionner lui-même. Son regard est conditionné par sa réputation. Il ne peut que lui être fidèle.


Il est, aux yeux de tous, un personnage de récit plus qu’un humain.
Consciemment ou inconsciemment, Gauvain s’inscrit « en dehors » du temps. Plus il s’investit au présent, plus il le morcelle. Il ne cesse de le subir et de le réinventer à la fois.
Et toute la pièce est construite à cette image : il y a de nombreuses ellipses et des moments où tout semble être suspendu, dilaté.


Le temps vécu par Gauvain ressemble à celui des rêves. Et cette idée est renforcée par l’alternance de situations très concrètes et d’apparitions mystérieuses. Il y a notamment la vision récurrente d’un homme transpercé d’une épée, dont on ne sait si elle est réelle ou fantasmée. Cette vision rappelle la malédiction des rois pêcheurs : toute la lignée de Joseph d’Arimathie sera touchée par un « Coup Douloureux » jusqu’à ce que la rédemption ait lieu.
Cette vision évoque aussi à chacun la figure de sa propre mort. Mais Gauvain ne s’y arrêtera qu’un instant, sans sembler en être bouleversé.


Gauvain traverse sa propre aventure comme il traverse les espaces, comme il traverse le temps et est traversé par lui. Rien n’a vraiment de prise sur lui.
C’est peut-être en cela qu’il est « pur ».
Il est dit que celui qui trouvera le Graal devra être « chaste, pur et vierge ». Le chevalier parfait est donc une sorte de « robot » dépourvu d’émotion et de désir.
Gauvain n’est ni chaste ni vierge mais il semble « pur », c’est à dire inébranlable selon la notion du parfait chevalier. Mais, à la fin, quand il doit offrir son cou pour qu’il soit tranché, il tremble. Il est dit qu’il tremble trois fois.
Il découvre la peur, il prend conscience que la mort peut exister vraiment et que la vie n’est pas un récit ni un jeu. Il fait face à son présent.
C’est la peur qui fera de lui un humain, le rendra à la fois moins et plus « pur », le transformera en vrai chevalier. C’est cette peur qu’il surmontera en offrant sa tête qui fera de lui la vraie figure du courage.
Avant cela, il semble que la notion de perfection lui ait enlevé tout libre arbitre.


Ainsi, Gauvain et le Chevalier Vert est l’histoire d’une naissance. Ce tremblement final et premier de Gauvain, c’est la naissance de la conscience et de l’humanité, de la peur et de la vraie chevalerie.
Ce n’est pas un hasard si, juste avant de s’exposer à la mort, Gauvain est « séquestré » neuf mois. Neuf mois à l’issue desquels il découvrira que sa mère, sa grand-mère et sa soeur sont les personnes qui l’ont rendu captif et lui ont fait perdre toute notion du temps. Neuf mois durant lesquels il aura été séparé de Flore, qui lui présente un enfant dont elle affirme qu’il est le père.


Est-il vraiment le père de cet enfant ? On ne le saura jamais.


L’ensemble du Graal Théâtre interroge les notions de provenance, de naissance et de destin. Quelle part reste-t-il à l’humain pour faire ses propres choix ?


Dans cette histoire, tout est basé sur la notion d’inceste originel. Nous sommes tous nés de ce « péché » qui fait de nous des frères et des soeurs. C’est sur ce socle fragile et imparfait qu’est fondée notre humanité.

Julie Brochen

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