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Europe (L'Echappée belle)

+ d'infos sur le texte de Marie Fourquet
mise en scène Marie Fourquet

: Prologue

Je leur ai dit, je vais écrire sur l’Europe.
Ils ont dit oui, oui, il faut parler de l’Europe, de l’Europe d’aujourd’hui, de l’Espagne, de la Grèce du berceau de l’Italie. Tu dois écrire sur 45, sur la mitraille et sur ces trains. Tu devras aussi parler d’Israël, de construction et de l’union, il faut écrire sur les accords, les marchés, ce qu’ils ont perdu, ce qu’on a gagné. Et l’Angleterre et le secret, il faut le dire ! Peut-être devras-tu aller en Grèce ? Ils ont dit que c’est un morceau, un sacré morceau, l’Europe qu’il fallait avoir les épaules solides pour écrire sur l’Europe et qu’il fallait faire des recherches, beaucoup de recherches, pour comprendre, peut-être une méthodologie d’écriture ? As-tu pensé à une méthodologie d’écriture ?


J’ai dit oui, oui, oui.... Mais je vais écrire sur Calais et je dois partir.


Sur Calais ? Il y a à écrire sur Calais ? Que veux-tu dire sur Calais et tu dois partir où ? à Calais ?
Non pas besoin d’aller à Calais, et là, je ris. Oui, oui je suis née à Calais, je dois écrire sur Calais, c’est là que commence mon Europe, c’est là qu’à grandi mon utopie, que se déploie mon rêve blessé tel un cerf-volant flirtant avec la paroi des falaises...
C’est mon Europe !


C’est de cette Europe dont je veux parler, mon Europe, vous comprenez ?


Alors, il a dit, tu devrais lire cette pièce d’Euripide. Sellars l’a monté. Il a dit, comment elle s’appelle déjà cette pièce? Attend, je vais la trouver, les Héraclides ! Tu dois lire cette pièce, elle parle de ces enfants errants, migrants et proscrits, les enfants d’hercule, c’est dingue, non ? Cette pièce parle de Calais. J’ai dit oui, oui, je vais lire la pièce.


Peut-être en restera-t-il quelque chose, une trace des Héraclides, de cette tragédie, de la Grèce. On verra, je veux juste écrire sur Europe.


Il a dit, attend, attend un peu, jeune fille, on ne peu pas « juste » écrire sur l’Europe !!! Oui je sais, je dois partir à Sarajevo.


Et pourquoi pas à Athènes ?
J’ai dit Sarajevo ! Je veux comprendre. Je dois comprendre Sarajevo, l’attentat, l’archiduc et le siège...
Il dit qu’il a compris ! Bien sûr tu veux écrire sur les tunnels, ceux qui lient l’Europe, celui qui sauve Sarajevo sous l’aéroport durant la guerre et celui qui lie Calais à l’Angleterre ! Mais c’est bien sûr !
Je dis que je n’y ai pas pensé que je ne connais pas le tunnel de Sarajevo car je n’y suis pas encore allé mais promis sur place je le chercherai.
Ils ont dit ces artistes !
Ils ont dit vous écrivez sur Europe parce que vous êtes française, ça vous fait quoi de travailler ici ?
J’ai dit oui, oui mais je suis suisse aussi, non ? Ils ont dit depuis quand ?
Heu... un an ? Ce n’est pas assez, vous croyez ? Je n’ai pas le droit d’en parler ? Je ne le suis pas encore assez ? Suisse ?
Ils ont dit, non, ce n’est pas ce que nous avons voulu dire, pas du tout ce que nous avons voulu dire mais ...Vous vous plaisez ici ?
J’ai dit oublions, oublions, je n’ai rien entendu...
Parlons du lac. Ils ont dit oui ! Oui ! Ici nous adorons les pièces qui parlent de la montagne ou bien du lac. J’ai dit oui, essayons.
Tous ces verts pâturages, toute cette tendresse des alpages et ces vignes se glissant dans le lac. Je voulais dire sur le lac, il y a tant à dire. Vous avez tant dit à mon arrivée. On a tellement parlé du lac ensemble, c’est fou, il revenait à chaque détour d’une de nos conversations.


Je vis face au lac, près du lac, j’ai vu sur le lac, je vais au lac, je bois sur le lac, au bord du lac, un tour au lac, près du lac. Je nage dans le lac et je laisse la masse, l’illusion de cette eau stagnante m’absorber, l’eau est épaisse, j’y cherche les mouvements, le courant d’un ruisseau venu des montagnes, j’y cherche le mouvement, la demi-vague d’un voilier, les battements de nageoires des perches, j’y cherche un mouvement, une vibration et au loin ce stupide jet d’eau qui arrose sans cesse ce putain de lac.


Je suis d’accord parlons du lac. Je vais écrire sur le lac sans le nommer oui, ce sera des amis, une soirée d’amis vivant au bord du lac, une soirée où les enfants dorment dans la pièce à côté et où l’on peut entendre.
« En tout cas moi quand je vois l’Europe, je me dis qu’on a bien fait de ne pas rentrer dans ce merdier pourtant j’étais pour à l’époque. »


Alors ne parlons pas politique, parlons paysage. Le lac me regarde, je regarde le lac, de l’autre côté, la France, une inconnue, cygnes et canards glissent, je passe la langue sur mes lèvres, elles n’ont plus le goût salé de l’Angleterre, ce n’est pas Douvre au bout de la mer, ce n’est pas Ramsgate, ni Brighton et Nick Cave, c’est Evian et un peu Bowie.


Et j’arrive ici, j’arrive en Suisse, que c’est joli, que c’est joli la Suisse.
Ils ont dit et vous vivez vraiment ici ? C’est ici que vous avez grandi ? J’ai dit non, non ce n’est pas ici que j’ai grandi, c’est pour ça que je veux écrire Europe parce que c’est tellement joli, ici. Parce qu’enfant, j’adorais Heidi.
Et vous ne m’avez pas menti. Je suis arrivée ici, j’ai vu Gruyère, j’ai vu la Vallée de Joux, j’ai vu le Valais et vous ne m’aviez pas menti. Ici, c’était tellement parfait ! Je suis arrivée avec mon Europe flamboyante, vous la jugiez arrogante mais d’où je venais elle m’était nécessaire, vitale et indiscutable.


Pardon, on va devoir aussi parler de ma mélancolie et de mon mal du pays mais on va essayer de ne pas se perdre et de ne pas se fâcher.


Ils ont dit très bien, pourquoi pas, si ça vous fait du bien !


Parlons de Calais !
J’ai dit oui, oui, merci.
Parlons de Calais.


Il faut d’abord comprendre la mer, la Manche, la mer du Nord et le mouvement des marées.


Il faut comprendre le mouvement des marées. C’est quand la mer se retire que je sens le mal, le mal du pays.


Je me tiens face au lac et je perçois le mouvement de la marée alors se pose la question de ma présence ici, qu’est-ce que je fous ici ?

Marie Fourquet

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