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End/igné

mise en scène Kheireddine Lardjam

: Notes du metteur en scène

Le 17 décembre dernier, Mohamed Bouazizi, un jeune Tunisien de la région de Sidi Bouzid, s’immole par le feu devant la préfecture. La police venait de lui confisquer tout son étalage de fruits et légumes. Jeune diplômé au chômage, il n’avait trouvé que ce moyen pour nourrir sa mère et ses soeurs et il s’en trouve soudain privé. La suite, on la connaît. Ce suicide public a entraîné une vague de contestation sans précédent dans tout le pays qui a conduit le 14 janvier au départ du président Ben Ali, au pouvoir depuis vingt-trois ans. Et c’est le début des révolutions arabes mais aussi d’une multiplication des cas d’immolation dans le Maghreb. Ceux qui tentent de l’imiter se reconnaissent dans cette douleur et cette détresse exprimées. Ils estiment vivre dans les mêmes conditions que Mohamed Bouazizi et qu’il a ouvert la voie. Dans la foulée, en Tunisie, il y a eu plusieurs cas, avant ceux plus récents en Algérie, au Maroc, en Egypte ou en Mauritanie.


Mais en réalité cet acte ne concerne pas que les pays du Sud, mais il s’agit là d’un acte universel. Car Mohamed Bouazizi a entre autres, un précédent célèbre en Europe. Le 16 août 1969, Jan Palach, étudiant tchécoslovaque, s’immole par le feu sur la place Wenceslas, à Prague. Il proteste contre l’invasion de son pays par l’Union soviétique. Un acte spectaculaire qui, comme dans le cas du jeune Tunisien, fait de lui l’icône du printemps de Prague. Deux de ses camarades l’imitent. En France de 2007 à 2011, trois personnes se sont immolées dans la Mairie de Saint- Denis, pour des problèmes de logement ; le 13 octobre 2011, c’est le fait d’une enseignante à Béziers ; le 26 du même mois, c’est au tour d’une femme de 68 ans devant l’Elysée et pendant l’été 2012, un homme va s’immolé dans les locaux de la CAF en région parisienne … Les exemples sont nombreux.


Mais pour les jeunes maghrébins aspirant au changement, l’autoimmolation est dorénavant la seule option possible, afin de protester contre les gouvernements qui gèrent mal leurs affaires, les marginalisent et les privent des conditions de vie décentes.


« Affronter le feu plutôt que vivre en enfer», c’est ce que revendiquent par exemple les jeunes en Algérie. Autrement dit, le premier message passé par l’immolation est que celui qui s’adonne à un tel acte ne peut plus supporter les conditions extrêmes dans lesquelles il vit.


Ces suicidés très particuliers cherchent à se couper de ce monde violent et injuste. «La peau est notre limite, elle est notre contact avec l’extérieur». En la brûlant, ils se coupent définitivement de tout. Le feu a aussi une symbolique très forte dans toutes les cultures. C’est l’idée de pureté. Si l’immolation est la dernière flamme de vie et la plus spectaculaire, elle est aussi celle qui purifie. Soi-même et ce monde si laid.


Dans le cas de l’immolation par le feu, l’acte est public. Il désigne en soi la société comme responsable. C’est vraiment un “j’accuse”, un acte de protestation publique. C’est la façon la plus voyante de protester quand on ne peut ni parler ni être entendu. C’est le cri des opprimés de toutes natures. Et c’est cette parole que je souhaite questionner au théâtre.


Pour cela j’ai décidé de faire une commande d’écriture à Mustapha Benfodil. Auteur de théâtre, romancier mais journaliste aussi, Benfodil a mené plusieurs reportages sur le sujet pour le journal « El Watan ». Il a écrit aussi plusieurs poèmes sur ces jeunes qui s’auto-immolent. Inviter Mustpha Benfodil à écrire ce texte m’apparaît comme une évidence. Raconter l’histoire de ces jeunes au théâtre est une autre manière de leur donné la parole sur une autre place publique : La scène. Une parole de colère, mais aussi une parole poétique, qui nous pousse à voir autre chose que la violence de cet acte. A Entendre leurs histoires.

Kheireddine Lardjam

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