: Résumé
Moussa est préposé à la morgue de l’hôpital de BalBala, petite bourgade
rongée par l’ennui, les rats et les moustiques. Moussa est surtout le
laveur de morts attitré de BalBala. Sa vie, son oeuvre, se résument aux
dizaines de corps dont il a assuré soigneusement la toilette mortuaire,
s’évertuant à rendre un peu de leur dignité aux cadavres déchiquetés par
les chiens enragés, les accidents de la vie et la violence ordinaire. C’est
aussi lui qui assiste l’unique médecin légiste de la ville dans ses autopsies
improbables.
Le boulot ingrat et macabre de Moussa lui vaut un sobriquet peu
glorieux : Malik El Mawt. L’Ange de la Mort. Il faut croire que son métier a
profondément changé son rapport au monde et aux gens. En faisant un
être à part. Un être peu communicatif, taciturne, les yeux dans le vague à
ruminer des pensées plus mystérieuses les unes que les autres. Les plus
naïfs du village le créditent de pouvoirs surnaturels, lui prêtant notamment
le don de s’entretenir avec les morts et de faire parler les macchabées
à défaut de les faire revenir à la vie. Certains en viennent à le craindre,
d’autres à le vénérer.
Un jour, Moussa réceptionne le corps calciné d’un homme sans visage.
Un homme dont la gueule a été entièrement carbonisée. Dans un geste
extrême, il s’est immolé par le feu sur la place publique. Il s’avère que
cet homme a un nom : Aziz. Surnommé « TchaKlala ». Le bavard. Car il
avait la réputation d’un tchatcheur, un gouailleur volubile, bavard comme
une pie, une vraie pile électrique, la langue fourchue et pétant le feu.
Moussa le connaissait parfaitement. Il faut dire que dans la petite ville
de Balbala, tout le monde connaît à peu près tout le monde quand ils ne
partagent pas carrément le même arbre généalogique tribal. Mais c’est
encore plus vrai de Moussa et Aziz. Ils étaient du même quartier, ils ont
fréquenté la même école. Et ils partageaient surtout la même passion : la
chasse aux scorpions, sales bêtes qui infestaient les maisons de BalBala.
Ils improvisaient même des combats de scorpions qui faisaient accourir
tous les mioches du village.
Dans ce monologue, Moussa alias Malik El Mawt essaie de comprendre.
De comprendre le geste fatal de son ami à partir de fragments épars de
son histoire tourmentée. A sa manière, il refait l’autopsie de Aziz tout en
s’attachant à le laver de ses cendres et embaumer son corps envers et
contre tous (la tradition voulant que les suicidés n’aient pas droit à la toilette
rituelle). Il lui parle en se remémorant la vie trépidante qui fut la sienne
jusqu’à son ultime râle. Loin de se muer en pleureuse, il rit beaucoup en
songeant à leurs frasques communes et reconstitue, ce faisant, le film de
son existence. Celle d’un citoyen lambda dont l’acte autodestructeur jeta
l’émoi dans les chaumières. Tout le monde ne parlait que de cela, le jeune
homme fougueux, promis à un destin fulgurant, et qui s’en alla comme un
fou braver la fatalité sur la place publique.
Moussa parle à son ami comme s’il était certain qu’il l’entendait. Il tente de
lui extorquer son secret avant qu’il ne l’emporte dans sa tombe. Bientôt,
Moussa se rend compte que le pensionnaire insoumis de la morgue lui
joue des tours et qu’il s’est emparé de sa langue. Tantôt, c’est Moussa qui
parle, tantôt c’est Aziz, après que le fantôme de l’immolé se soit insinué
par effraction dans le corps de Moussa. Empathie ou métempsychose,
ce dernier se débat comme un possédé. « Tu veux entendre le fin mot
de mon histoire ? Qu’à cela ne tienne ! » lance la Voix. Reconstitution
féroce de l’ultime scène. Aziz/Moussa est dans une transe démentielle.
L’Igné éructe son oraison funèbre avec force étincelles comme si la colère
qui habitait son corps était inextinguible. Les voix de Moussa et de Aziz
s’entremêlent en un étrange dialogue où alternent la voix caverneuse
de Aziz et celle, désemparée, de Moussa qui essaie (vainement ?) de
comprendre le geste suicidaire de son acolyte. Et surtout : POURQUOI
LE FEU ?
A travers l’autopsie subjective de son « client » du jour, c’est l’autopsie de
BalBala qui se profile, cette ville morte, petite bourgade résignée, engluée
dans la misère et s’éteignant à petit feu dans sa torpeur.
Mustapha Benfodil
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