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End/igné

mise en scène Kheireddine Lardjam

: Notes de l'auteur

A travers ce texte, j’essaie d’aborder un sujet brûlant : celui des immolations par le feu qui ravagent le corps de dizaines de mes compatriotes. Sujet difficile s’il en est. Extrêmement compliqué à porter sur le plateau. Comme tous les sujets où le background social est fortement présent. On sait par avance que l’on va se casser la gueule, esthétiquement parlant. C’est comme de dire à un auteur tunisien : Fais-nous une pièce sur Ben Ali.
Car la tentation est grande de se laisser aller à du théâtre documentaire.
Surtout que je suis également reporter (au quotidien algérien El Watan) et j’ai eu à travailler sur ce thème. Que dire de plus que ce que disent les journaux ? Que ce que disent les acteurs eux-mêmes de cette tragédie ?
Comment éviter la tentation du pathos, du discours militant, et la facilité de plaquer telles quelles des paroles cueillies dans la bouche des immolés, des séquences-reportages, en plagiant le Réel ?
Il ne s’agit donc pas ici de se prêter à un « théâtre d’information ». Même si l’actualité est dans les coulisses. Ou l’arrière-scène. D’où la distance.
L’Humour. La Fable. Le Cynisme. La Dérision. La Poésie. Même si je n’ai pas le recul nécessaire, temporellement et émotionnellement parlant.
La construction du texte est dictée dès lors par cette obsession de « ne pas copier le Réel », de ne pas le transposer brutalement sur scène. Un impératif d’autant plus prégnant qu’en jouant avec le feu (au propre comme au figuré), certaines voix ne manqueront pas de crier à la récupération. A fortiori quand on sait que c’est par un immolé, Mohamed El Bouazizi, que les insurrections arabes sont arrivées.
Problème complexe donc. Problème esthétique. Problème éthique.
Pourtant, quand le metteur en scène Kheireddine Lardjam m’avait proposé d’écrire quelque chose sur ce sujet, je n’ai pas hésité une seule seconde à dire oui. Surtout que de mon côté, dans ma littérature du moment, il se trouve que ce sujet hantait mon écriture, et j’avais même commis un chapitre dans un roman en cours, intitulé L’AntiLivre, sous le titre : « L’Ind/Igné ».
J’en avais donné lecture devant un public marseillais, et l’effet que cela a provoqué m’a conforté dans l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’attendre cinquante ans pour se donner la légitimité d’aborder une thématique jugée « sensible », et que les affaires de la Cité les plus pressantes, si rétives soient-elles à un traitement dramaturgique, ne devraient pas nous empêcher de les triturer au prétexte qu’elles sont trop vives dans la conscience collective. Il y a toujours une manière de convoquer le présent, de le transcender, de le sublimer dans le champ symbolique.
Et pas forcément pour opérer une catharsis. Pas nécessairement sous l’angle du tragique. Je reste convaincu que le théâtre a aussi pour boulot de dire le monde. Reste à savoir avec quels mots. Pour ma part, j’ai fait le pari de l’intériorité, de l’intime ignition, de la citoyenneté refoulée. Loin de moi le projet d’écrire une sociologie du désastre. Ni un manifeste politique. Même si le politique se profile, est à l’affût, derrière chaque hémistiche. S’immisce jusque dans les interstices du silence. Mon propos est simplement de dire : qu’est-ce que/QUI est-ce que le feu a brûlé ?
D’où l’eau. L’air. La terre. Et le fou. Le cinquième élément – l’homme, oui, ce fou. Petit grain de sable qui cherche à bousiller l’ordre quantique et la mécanique du monde. Avant de péter un câble. De péter tout court.
D’où l’autopsie. Pas l’autopsie du corps social. Juste celle d’un corps qui a mal. Un type bien identifié. Avec un CV. Des envies. Des emmerdes. Et des rêves qui ont explosé en plein vol.
Une autopsie poétique donc. Avec pour seule médecine légale la liberté du scalpel.

Mustapha Benfodil

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